"Quand je t'ai rencontré, j’ai pensé avoir trouvé quelqu’un qui était en mesure de m’aider : ce qui exige, bien entendu, non seulement un bon intellect, mais aussi une moralité de premier plan. Au lieu de quoi j’avais découvert quelqu’un qui voulait s’amuser et qui était suffisamment dépourvu de pudeur pour croire qu’à cette fin les plus distingués esprits qui soient étaient assez bons.
Le résultat de cette confusion, pour moi, est que mon âme, qui était libre, est à présent torturée par une foule de répugnants souvenirs. Car c’est toute la dignité de ce qui occupe mon existence qui a été compromise par un être superficiel, immoral, désinvolte et dépourvu de sentiments comme toi, Lou."

(...) je ne sais pas exprimer ce que je ressens autrement qu’en te disant tout, à toi et seulement à toi, la femme la plus vénérée de mon cœur. A présent que tu n'es plus, que je t'ai tué, je suis comme une bête, qui serait d’une manière indescriptible, continuellement blessée."

Mon amour, tu griffonnes ainsi durant des heures des lettres qui me sont destinées mais qui ne m'atteindront jamais, car je suis morte. Peut être essayes-tu d'extraire ce flot de mots tendres que tu n'as pas su me dire le jour où j'ai pris la décision d'en finir. Il est bien trop tard pour se rattraper, mais tu dois y trouver une satisfaction post mortem, ou bien au contraire, une manière supplémentaire pour t'autoflageller.

Et comme tous les soirs, lorsque tu achèves ton billet, tu fais rouler une dernière fois le cure-dent qui sillonne tes lèvres, puis le pose, te relis, pour finalement déchirer ma lettre, te lever, et rejoindre la corbeille de papiers pour y larguer la trace de tes souvenirs. C'est seulement une fois ce rituel terminé, que tu peux rejoindre ton dortoir, et t'endormir.

Mais ce soir là, ta routine fut bouleversée par une présence étrangère, elle était la discrétion née, cette fille aux grands yeux bruns de biche, elle était venue vers toi alors que tu rangeais tes affaires avec, dans ses mains, les morceaux déchirés de ta lettre.
- ... Qui vous a permis ?

Tu lui pris des mains les morceaux de la feuille que tu avais mis en miettes quelques minutes plus tôt pour t'assurer qu'il s'agissait bien d'elle, et releva la tête vers l'inconnue, elle ne s'était pas gêné pour violer notre intimité cette petite garce.

- Qui es-tu ? Pourquoi as-tu fais ça ?

Tu la défias du regard, cette expression sur ton visage qui semblait dire "mais de quoi tu te mêles ?", un silence s'installa après qu'elle t'ait intimé de ne pas jeter notre lettre. Tu n'arrivais pas à sonder ces intentions. Elle avait ce rien d'innocence qui vous laissait présager que vous ne craigniez rien. Mais entre ces murs, cela ne voulait rien dire. Relisant brièvement tes mots morts sur la feuille chiffonnée, tu esquissas une moue de mépris à ton adresse avant d’agglutiner à nouveau le papier en une boule compacte.

- Ce ne sont que des âneries. Mentis-tu. Avec une once d'observation, la demoiselle aurait pu deviner cette touche de tristesse et de remords apparaissant furtivement sur ton visage. Malgré sa douceur apparente, tu ne lui faisais pas confiance, elle nichait son nez dans des affaires qui ne la regardait aucunement après tout. Des restes de chimères d'un autre temps qui n'ont pas leur place ici. Il m'arrive d'écrire fréquemment le soir ici... Ça t'es déjà arrivé de lire une autre de mes lettres ?

Demandas-tu méfiant. Pour ne pas dire "tous les soirs". Tu enfournas la boule dans ta poche et y laissas tes mains, et la jaugea de haut en bas puis lui demandas :

- Tu n'as pas répondu à ma question. C'est quoi ton nom ?

Tu vis alors derrière elle sur un chariot rouleau des produits ménagers et compris à son accoutrement sa fonction dans le bunker.

- ... Faire le ménage ne te suffit pas apparemment, l'espionnage semble être ta passion secrète... Remarque, à ta place j'en aurai fait autant.

Tu soupiras lasse et t'assis sur le rebord d'une table. Ce n'était certainement pas la bonne personne avec qui se confier, mais elle semblait aussi discrète qu'attentive. L'écoute était une qualité bien rare dans ce bunker, et tout compte fait, tu ne tenais pas à dormir avec mon souvenir pour unique pensée.