Du blanc. Une étendue immaculée et un froid glacial. Puis du rouge sombre, un liquide poisseux qui maculait le sol. A peine visible, simplement par l'étrange reflet qu'un faisceau lumineux provoquait. Puis un bruit, un cri. Une course effrénée à travers les meubles, les murs, les obstacles. Un choc finalement, une douleur lancinante, au sol, un blessé, le visage déformé d'une femme aux traits asiatiques. La bouche bleuie, ouverte, laissait échapper un son étranglé alors qu'elle se débatait dans le vide. Un mouvement de tête, et sa joue apparût brûlée, défigurée. Un oeil ambré, l'autre noir, une mèche violette, l'autre rousse. Le cri devint plus rauque, se mua bientôt en un grognement. Puis d'autres transformations, semblant apparaître petit à petit à mesure des mouvements de la victime. Des canines, l'avancement de la mâchoire, des yeux minuscules, le museau aplatit, la peau à vif. L'instant d'après, la vision unique d'une gueule béante, prête à l'engloutir.


La médecin ouvrit soudainement les yeux. Des yeux écarquillés, paniqués qui trahissaient la puissance de ce cauchemar qu'elle venait de vivre. En sueur, le coeur tambourinant dans sa poitrine et le souffle coupé, la jeune femme voyait sa vision déjà troublée après ce geste précipité. Son environnement sombre et flou semblait alors tout à fait propice pour permettre à son esprit de garder en mémoire ces dernières images terrifiantes, les lui rappelant en même temps qu'une intense douleur au niveau de ses dernières côtes, réveillée par son mouvement involontaire.
Il lui fallu quelques longues secondes pour réussir à se calmer un peu. Reprendre son souffle, calmer son palpitant tachycarde, s'assurer que cela n'était qu'un rêve, le souvenir d'un véritable cauchemar. La jeune femme se rallongea puis passa une main sur son visage dans l'espoir de s'éclaircir les idées. Fatigue, douleur, terreur, vertiges, culpabilité. Ce flot de sensations et d'émotions la malmenait et plus les secondes s'écoulaient, plus elle revenait à la réalité, et plus elle se remémorait ces événements passés. Les conséquences de l'ensemble de cette mission, ces vies perdues, tous ces éléments qui y étaient reliés mais auxquels elle avait refusé de pensé plus tôt.
Une terreur nocturne et sa crainte de refermer les yeux étaient l'idéal pour lui rappeler qu'elle avait entièrement merdé. Responsables de six outsiders, elle en avait laissé mourir trois, et deux autres seraient certainement traumatisés pour de nombreux mois à venir. La récupération d'armes lui sembla bien secondaire, elle qui passait son temps à tenter de sauver des vies, et l'arrivée de deux autres inconnus ne la rassurait pas davantage. C'était laisser entrer deux nouveaux loups dans la bergerie qu'était le Bunker A. Des loups possiblement contaminés, des monstres peut-être aussi dangereux que ces créatures qui les avaient attaquées. Et elle les avait laissé rentrer.
Combien de conneries allait-elle enchainer ? Des fautes impardonnables ?

Les minutes s'égrenaient et la jeune femme était incapable de penser à autre chose. L'animation qui régna bientôt dans les pièces voisines n'aida à rien. Elle tenta de laisser son oreille s'attarder sur les discussion, de concentrer son attention ailleurs que sur ces événements qui la hanteraient encore un long moment, mais en vain. Il lui fallu attendre plus de deux heures pour que, d'épuisement, elle ne s'endorme, accédant à un sommeil peu réparateur qui lui fit toutefois rouvrir les yeux en début d'après midi.

Leo n'avait pas beaucoup mieux dormi. Dans son esprit s'attardaient ces mêmes images qui l'angoissaient, mais uniquement lorsque la douleur était assez faible pour les lui rappeler. Chose de plus en plus fréquente à mesure que l'effet des anti douleurs disparaissaient. Elle vit d'autres médecins, l'un d'eux lui faisant le résumé de son état, de ce qu'elle avait eu et des conseils qu'elle devrait mettre en pratique. Rien qu'elle était motivée à faire. Après 30 minutes passées à réfléchir, son cerveau plus qu'actif et un médicament qui calmait à nouveau ses nocicepteurs, Leo n'avait plus la moindre envie de demeurer étendue. Elle se redressa avec plus de difficulté, bascula ses jambes sur le côté du lit et attendit un moment que le premier vertige passe.
Que pourrait-elle faire sans qu'on ne lui hurle de s'allonger ?

Leo demeurait immobile désormais. La couverture repoussée sur le bout du lit, ses deux jambes ramenées d'un seul côté, elle cherchait le courage de poser ses pieds sur le sol. La douleur qu'elle ressentirait certainement au premier mouvement la faisait hésiter, tout comme les réprimandes qu'elle recevrait à coup sûr. Patiente blessée, shootée à la codéine, il était nécessaire qu'elle reste allongée, immobile, à uniquement réfléchir. Elle n'était pas paraplégique, pouvait se débrouiller seule. Et à l'instant, elle avait terriblement faim. Alors elle comptait bien aller se chercher quelque chose à manger par ses propres moyens. Ainsi, l'outsider ne resterait pas enfermée dans cette pièce, dans un rôle qui ne lui convenait absolument pas.
Ses yeux étaient fixés sur le sol, ses pieds nus à quelques centimètres. Son estomac la tiraillait. Et pourtant, elle craignait de poser les orteils par terre.

-Je savais que les médecins faisaient les pires patients, mais à ce point là..

Leo releva soudainement la tête en entendant une voix familière. Elle voulu esquisser un sourire à sa remarque également, mais le rictus qui étira ses lèvres fut plutôt grimaçant. Déjà, le monde tournait autour d'elle, devenant trouble l'espace d'un instant.
Le visage à qui appartenait cette voix mit quelques secondes à lui apparaître. Wayne. Elle ne s'attendait pas vraiment à le trouver là, pas plus qu'elle pensait que qui que ce soit viendrait la visiter à vrai dire. Elle n'était pas plus certaine d'en connaître les raisons. Politesse ? Responsabilité ? Culpabilité ? Inquiétude ? Devant elle s'en réjouir ? Elle y réfléchirait plus tard. Finalement, elle était contente de simplement voir quelqu'un. Quelqu'un d'autre qu'un médecin, qu'un patient en mal de compagnie, qu'un curieux désagréable.

- J'ai si mauvaise mine que ça ?

Elle n'avait pas eu l'occasion de se voir dans un miroir, mais elle devinait que oui. Sa peau devait être pâle, chose qui tranchait terriblement avec les traces de sang séché qu'elle avait encore sur les mains. Elle devinait la présence de ces même traces sur son flanc lorsque le tissu de la robe d'hopital frottait dessus. Une tenue qui ne devait pas beaucoup plus la mettre en valeur d'ailleurs, mais au moins n'avait-elle pas les fesses à l'air.

Plutôt que de s'attarder davantage sur son état qu'elle savait assez lamentable, la blessée se concentra sur le leader face à elle.

- Mais et toi ? Comment tu vas ?

Cette question était sincère. Si elle même l'avait posée, ce n'était pas pour lancer une discussion, mais bien parce qu'elle s'en inquiétait. Même si lui n'avait pas été blessé, il avait eu bien plus à gérer qu'elle, un poids qui n'était en rien négligeable, comme une expériences qui avaient pu l'atteindre plus profondément qu'il pourrait l'avouer. Comme chacun d'eux elle en était certaine.