Le réveil sonne et mes muscles souffrent, et ce dans le même instant. J’avais un peu surestimé la distance entre mon ancien bunker et celui-ci, mais j’ai quand même passé plus de 24h à marcher sans pouvoir manger ou boire. De ce que m’ont dit les outsider, j’ai de la chance d’être encore en vie : par un pur mirâcle, je ne suis tombé ni sur des bêtes sauvages, ni sur des zombies. Visiblement, le monde a changé, pendant que je n’étais pas là.

Arrivée hier, aujourd’hui sera mon premier jour de travail. Quelle surprise ça a été pour moi d’être placée mécanicienne… Ou pas. Faut dire que c’était assez évident, mais je ne m’en plains pas. C’est une position qui me permettra de récupérer des matériaux pour expérimenter dans le futur… Enfin si c’est possible. Au pire, je n’aurai qu’à demander directement aux outsiders.

Le rappel de mon réveil me tire de ma rêverie et me rappelle à la réalité. Ca fait des mois que je n’ai pas eu besoin de me lever, on finit par perdre l’habitude. Je jéte un coup d’oeil autour de moi pour reprendre mes repéres, et remarque les autres lits disposés autour. Si je ne suis pas seule dans ma chambre, je n’ai pas eu l’honneur de rencontrer mes colocataires encore, et ceux-ci ne sont visiblement pas là. Peut-être en mission, ou déjà réveillés.

Me décidant enfin à me lever, je me dirige directement vers la douche. J’en avais déjà pris une en arrivant à l’infirmerie, mais une deuxième ne gêne pas. L’avantage, quand on a été une étudiante fauchée, c’est que l’on connait les douches froides. Ca peut même être agréable, parfois, même si aujourd’hui n’était pas une de ces fois.

M’habillant rapidement, car n’ayant pas vraiment l’embarras du choix en la matière, je sorti de ma chambre avec mon bloc-note sous le bras et prit la direction du réfectoire… Enfin, c’est ce que je pensais à la base, il a fallu que je fasse un arrêt par la carte du bunker… Ecoutez, on ne peut pas m’en vouloir, j’étais à moitié comateuse lorsqu’on m’a expliqué !

Arrivée au réfectoire, je pu remarquer que celle-ci était déjà pleine. Elle vit un groupe de personne aglutinées les unes sur les autres, et se dit qu’elle était bien trop fatiguée pour ça. Aussi, une fois son repas pris (les cuisiniers avaient visiblement reçu un mémo et acceptaient sans un mot lorsque je pointais ce que je voulais). De là, elle chercha une table qui n’était pas trop pleine, et tomba sur une qui ne comportait que quelques groupes qui discutaient calmement entre eux. Elle s’installa à côté de deux hommes en train de converser et posa son bloc note entre elle et eux, ouvert sur une page préparée au préalable qui lisait

“Bonjour, sachez que je ne suis pas malpolie, juste muette. Ne vous offusquez donc pas si je ne vous parle pas”.

Nuit de recherches, d’observations et de silence. Nuit d’encre, nuit de fantôme, habituelle, répétée, orchestrée, comme une chorégraphie rigoureusement établie, impérieuse et immuable. Nuit de microscope et de lamelles d’observations, nuit d’étude et d’analyse et de déductions. Et le lever du soleil, imminent ou déjà loin, peu importait. Il y avait bien longtemps que Pandore ne vivait plus en fonction du soleil et des conventions et des « Oh mais tu as vu l’heure qu’il est ? » Non, elle ne voyait, elle ne voulait pas voir. Paupières ouvertes mais regard clos, on ferme les yeux et on ferme le cœur, enchaîné, menotté, cousu au fil de plomb.

Les mains bleues d’encre et de froid et tremblantes de crampes et de fatigue et de froid. Les feuilles de notes repoussées, écartées, jetées au loin dans l’espoir de ne plus les voir, de les bruler, elle et toutes les pensées qui vont avec, celles qui disent que ses notes ne donnent qu’une direction, qu’un avenir, qu’une seule solution à cette équation immense et complexe : une fin violente et inéluctable. Ordinateur éteint, clavier poussé sur le côté, et rapports rangés dans une pochette, posée dans un petit coffre sécurisé, cadenassé et caché. Pandore se dirige donc vers le réfectoire, le corps décharné et les yeux fatigués et la clope sur ses lèvres écaillées –éteinte, évidemment, mais savoir la nicotine si proche de sa bouche était une satisfaction suffisante en soit.

Elle a sa blouse sur les dos et son épuisement sur ses épaules –basses, affaissées, courbées. Dans ses yeux, il y a un vide monstrueux et un manque qui se creuse –besoin de café, rapidement, avec que son esprit ne la dévore. La femme passe devant les comptoirs et prend une tasse de café –froide, glacée- et elle s’apprête à partir, parce qu’elle n’a rien à faire ici et qu’elle ne se sent pas à sa place avec aucun de personne, incapable de les étudier, incapable de les comprendre, incapable de les contrôler. Et puis, elle voit quelqu’un assit sur l’une des tables, il lui est vaguement familier et elle se souvient. Alors doucement elle s’approche.

« - Excusez-moi, Sven Payne ? » Sa voix est rauque et grinçante et éraillée, parce que ça fait longtemps que Pandore n’a pas parlé avec autre chose que ses boite de pétri. Elle serre ses doigts tremblants autour de sa tasse grise et tend sa main gauche vers l’homme assis, s’obligeant à ne pas penser, parce que sinon elle ferait demi-tour et retournerait se terrer dans son laboratoire. Alors elle ne s’arrête pas, pour ne pas céder. « Pandore Khamsin, nous allons faire une mission ensemble me semble-t-il. Enchantée. »