J'étais à moitié allongée sur le lit de l'infirmerie, laissant mes collègues terminer leur batterie de tests. Les yeux plongés dans le vague, je répondais mécaniquement aux questions que l'on me posait, ne réagissant pas quand on m'appliquait de l'antiseptique sur les quelques plaies bénignes dont j'avais héritées. Je sentais les mains de mes collègues se poser sur mes épaules, me murmurant des paroles de réconforts que je n'entendais pas, préférant fixer le bout de mes pieds endoloris. Dans ma tête, c'était le brouillard complet, j'avais encore du mal à réagir que quelques minutes plus tôt, j'étais revenue au bunker. On m'avait enlevé mes affaires, fouillé et retiré mes armes sans que je ne bronche, puis j'avais vu des infirmiers attraper Lynch avant de l'emmener rapidement en soins d'urgence. Comment étions nous rentrés, déjà ? Je me rappelais avoir foncé vers le bunker, puis j'avais fini par arrêter le véhicule devant les portes, arrachant ma ceinture et celle de mon leader inconscient. Je me rappelais avoir fait le tour du humvee, tiré Lynch et être tombée sous son poids avant d'utiliser mes dernières forces pour me relever et le porter à moitié jusqu'à l'entrée où les portes s'étaient miraculeusement ouverte. Ensuite, le flou... J'étais maintenant à l'infirmerie, mais je voyais mon endroit de travail d'un nouvel œil.

C'est bon, Metelsen... Metelsen ?

Pendant toute la mission, je m'étais efforcée de rester calme, de ne pas céder à la panique, me rassurant que j'aurai le loisir de m'effondrer au retour. Pourtant, je ressentais comme un vide, en moi... Mes craintes, mon angoisse et ma stupeur s'étaient envolées comme par magie, et cela m'effrayait. J'avais l'impression d'avoir laissé une part de moi-même, là bas... Au milieu des décombres, des corps et des mutations qui avaient manqué de nous bouffer comme de la viande. J'avais l'impression que mon esprit s'était robotisé, adapté à une personnalité et une identité qui autrefois m'aurait effrayé. Je ne m'étais jamais pensée capable de telles choses... Tuer, ou être tuer... Appuyer sur la gâchette avec autant de conviction en sachant pertinemment que j'ôterai la vie d'une personne. Et pourtant, je l'avais fait... Et il ne restait qu'un goût aigre sur la langue.

Triss... Triss Metelsen... ?

Je me décidai enfin à tourner mon visage vers Fred, l'un de mes confrères médecin. Sa mine était inquiète et je voyais qu'il se demandait si je n'allais pas péter un plomb ou me mettre à pleurer tant mon air vide était transparent. Lui adressant un sourire rassurant, je tapotai la main qu'il avait toujours sur mon épaule et sautai du lit, avant d'étirer mes épaules endolories. Je ne savais pas que tenir une arme constamment en joue était aussi fatiguant... Il allait falloir que je m'entraîne durement.

C'est bon, ne t'inquiète pas. Là j'ai juste envie d'une douche et de me coucher.

Quittant mon box, je traversai la salle sous les regards parfois étonnés de mes collègues. Adressant quelques signes de main à ceux que je connaissais, je finis par poser la main sur la poignée de la porte, prête à prendre du repos que j'estimais réellement mérité.

Triss ?

Tournant la tête, j'observai alors Lynch, allongé sur un lit. Apparemment, on avait du lui procurer ses médicaments puisqu'il n'y avait plus personne autour de lui. Les rideaux à moitié tirés, je ne pouvais apercevoir que la moitié de son visage mais son œil était braqué sur moi et je compris qu'il voulait me parler. Oh non... Je n'avais pas envie de faire un débrief' maintenant... En revanche, il affichait une meilleure mine et je souris légèrement avant de faire demi-tour et de me diriger vers son lit. J'étais encore un peu comme dans un rêve, je n'arrivais pas tellement à faire la distinction entre réalité et fiction. M'asseyant alors à ses côtés sur le bord de son lit, je poussai un long soupir de lassitude.

Tu as l'air d'aller mieux, ça fait plaisir. Comment te sens-tu.

J'avais conscience que ma voix était fatiguée et qu'elle manquait d'enthousiasme, mais vu notre état, je savais qu'il ne m'en tiendrait pas rigueur.

Quand je m'assis, je vis qu'il semblait préoccupé et qu'il allait devoir me déballer un paquet d'informations qui ne manqueraient pas de m'épuiser d'avantage. Sortant des plaques de sa poche, il me les montra et je levai un sourcil étonné en voyant le nom inscrit dessus. Qu'est-ce qu'il foutait avec des affaires à Wayne ? La suite me laissa bouche-bée et mon sang ne fit qu'un tour. Attendez... Il était actuellement en train de me dire que le fils de pute qui avait fait péter une porte au nez de Lewis, que celui qui nous avait fait flipper dans un putin d'ascenseur de merde pendant une heure, était Wayne Holden ? Je fis rapidement le lien avec la voix qui était sortie de l'interphone et mes derniers doutes s'envolèrent en fumée.

Concernant De Anh... Commençais-je malgré la pointe de colère qui perçait dans ma voix. Je pense savoir où la trouver, je la connais.

"Et elle va péter un plomb..."

Wayne Holden... Tout le respect et l'affection que j'avais pu lui porter jusqu'à présent s'évanouissaient lentement pour faire place à la déception. Je n'étais pas militaire, mais je n'étais pas assez naïve pour comprendre qu'il avait décidé de trahir twenty one. Au fond de moi, ça m'était égal, je lui avais déjà parlé de ma vision des choses concernant notre communauté, et nous avions été d'accord sur pas mal de points. Je savais qu'il avait un esprit de rébellion. Mais partir ainsi, risquer la vie de ses propres confrères et ne donner aucune explication ? C'était typiquement le genre de caractère méprisable que l'on pouvait retrouver chez un militaire lambda. Pourtant, à force de le côtoyer, je ne l'avais pas rangé dans cette catégorie... Au final, je m'étais trompée. Soit, ça m'apprendrait à me fier trop facilement à des hommes de son genre.

Et concernant Lewis qui lui colle au cul ? Demandais-je d'une voix amère, tout en veillant à ce que personne ne nous entende. Il compte lui faire péter une nouvelle claymore à la gueule ?

Et oui... On avait toujours le dernier membre de notre escouade improvisé qui avait eu la folie d'aller le poursuivre. S'il n'avait pas voulu se faire remarquer jusqu'à présent, qu'il s'était caché de nous, je ne doutais pas une seule seconde qu'il lui colle une balle dans la tête... Et ça ne faisait qu'accentuer mon dégoût. Certes, c'était l'apocalypse, mais pendant que nous étions dans l'angoisse de savoir si oui ou non nous allions survivre, enfermés dans une cabine avec des projecteurs dans la tronche, pourquoi n'avait-il pas eu le réflexe de venir donner une explication. Lynch l'avait néanmoins couvert... au péril de sa propre vie et de celle des membres de son équipe. Etait-il digne de confiance, ou est-ce qu'à nouveau, je me trompais. Ce monde était pourri jusqu'à la moelle... Et moi, je cherchais inconsciemment des personnes auxquelles m'accrocher désespérément. Cela menait à ce genre de résultat.

J'ai conscience que le bunker ne va pas tarder à imploser, et cette histoire de brouillage de communication ne m'étonne pas. Seulement, à mon échelle, que veux-tu que je fasse.

Passant une main sur mon visage, je ramenai mes cheveux sales et emmêlés en arrière. Oui, j'avais eu de longues conversations avec Wayne sur la pourriture qui gangrenait ce bunker, et peut-être qu'au fond de moi j'étais déçue qu'il n'ait pas assez cru en moi pour me parler de ce qu'il comptait faire. J'avais misé tous mes espoirs sur lui, me disant que si quelqu'un avait les capacités et l'influence pour changer les choses, c'était bien lui. Maintenant, Lynch avait peu à peu pris cette place de meneur que je recherchais. J'avais presque honte de devoir être dépendante à ce point... Mais de la déception envers Holden, il me venait un nouvel espoir en Lynch. S'il avait décidé de lui faire confiance, alors il devait savoir ce qu'il faisait... En espérant qu'il ne se trompe pas.

J'ai compris, je la fermerai. Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse, leader ?

J'avais lâché ce mot dans une ironie dénuée de toute agressivité. J'étais juste fatiguée, un peu déçue et je savais que la pression qui retombait faussait mon jugement. Sans doute que demain, peut-être serais-je moins remontée contre Holden et que j'aurais l'esprit plus clair pour me dire qu'il était temps d'agir. Seule, j'étais inefficace. Avec quelqu'un comme Crow... Ça méritait qu'on y réfléchisse.

Lynch me donna le nom d'une personne qui pourrait nous aider. C'est dommage, à l'époque je connaissais le chef opérateur mais il avait disparu et je n'avais jamais su s'il était mort en mission ou tout simplement parti. Lui, il aurait pu bien nous aider pour ce problème de communication... Et étonnamment, je ne fus pas choquée d'apprendre que Chester et les siens nous manipulaient depuis le début. En dehors des âmes tourmentées et trop fragiles, tout le monde ici savait plus ou moins qu'il exerçait le pouvoir d'une main de fer dans un gant non pas de velours, mais de papier de riz. Il n'était pas respecté, oh non … Il était craint, car chacun ici savait que sa milice privée n'hésiterait pas une seconde à nous foutre dehors au moindre faux pas. Il suffisait de ne plus être utile, ou de ne pas suivre ses idées... Et c'était la fin. Pourtant, voilà que maintenant se sentait un parfum de rébellion, et chaque pore de ma peau me hurlait de la rejoindre et de me battre pour elle. C'était donc cela, les fameux principes dont me parla Lynch à notre première rencontre ? Effectivement, cela valait peut-être le coup pour qu'on lutte pour eux.

… il faut que tu en fasses de même...

Cette phrase résonna dans ma tête en boucle et je savais que lorsque j'accepterai de couvrir ce début de mutinerie, je ne pourrai faire un retour en arrière. Au final, Ayden Lewis s'était sacrifiée pour une cause qu'il aurait peut-être soutenue s'il en avait eu vent. Voilà pourquoi j'en voulais à Wayne... Il ne s'était contenté que de se planquer et de veiller à accomplir ses petits projets personnels au détriment total de ses alliés. De par sa fonction et son rôle, beaucoup de personnes comptaient sur lui et je faisais partie de ces imbéciles qui s'étaient trompés sur sa personne. Certes, je croyais mon leader quand il me disait qu'il n'avait pas fait que du mal, mais les moyens utilisées étaient tout sauf humains... Et si j'acceptais de me lancer dans la guerre, et même de connaître ou de devoir faire des choses atroces, j'espérais alors ne pas perdre mon âme comme il semblait avoir perdu la sienne. Déception.

J'espère que tu ne te trompes pas, Lynch. Dis-je enfin après un court instant de silence. Ce que nous faisons là, c'est clairement de la haute trahison...

Je me fichais de trahir Chester. Mais il fallait que les choses soient bien faites, ou bien nous risquerions tout simplement de mourir sans même avoir pu murmurer le pourquoi du comment. Je faisais peut-être confiance un peu trop facilement...Mais c'était la seule solution qui nous restait.

Il faudra que l'on se mette d'accord quand ils exigeront un compte-rendu. Je ne voudrais pas qu'il y ait trop d'incohérences entre nos rapports.

Bien que je n'étais pas rassurée par le plan qui se préparait, je ne protestai pas et acquiesçai à ses mots. Je ne savais pas réellement quand il voulait que l'on passe à l'action, mais étant donné l'agitation et les révélations récentes, ça n'allait pas tarder à tomber. Un frisson d'excitation me parcourut l'échine et je le refoulai rapidement en arrière, peu désireuse de me savoir enthousiaste à l'idée de faire une chose pareille...
Regardant Lynch se lever, je fus rassurée de voir que son état semblait s'être stabilisé. Bon, certes... Il clopinait un peu et ça n'était pas très rassurant de l'imaginer cavaler dehors, mais c'était toujours mieux que son état d'il y a quelques heures...

Ok. Va pour le pétage de plombs de Lewis... Mais quel gâchis.

Me levant à mon tour, je m'étirai légèrement mon bas endoloris et commençai à m'éloigner. Des amis, dans le bunker, j'en avais presque plus... La plupart étaient portés disparus, d'autres déprimaient dans leur chambre et certains avaient succombé à l'épidémie de grippe. Linh était partie en mission, De Anh ne sortait plus de sous ses couvertures, Gabriel était absent et Yeong avait du être abattue en mission. Ici, les relations ne duraient jamais bien longtemps... Mais un nom me revint en tête. Jack Emerson... J'avais tenté de me rapprocher de lui à une époque où je voulais me lancer dans un petit trafic de clopes. C'était d'ailleurs en partie grâce à lui que je n'en manquais pas, mais pour le coup ce qui m'intéressait dans sa personne, c'était sa profession...
Un mince sourire aux lèvres, je tournai mon visage vers Lynch.

Dis moi, une journée portes ouvertes dans les réserves militaires du bunker, ça t'irait ?