Le quatrième niveau était devenu sa maison, sa chapelle et son tombeau. Burettes graduées, pipettes jaugées microscope et boite de pétries et l’odeur du vinaigre, de l’antiseptique et les roues couinant de sa chaise bancale. Les laboratoires étaient devenus sa raison de vivre et de mourir. Et ça lui allait. Elle croisait peu de gens ici, quelques gars en blouse, parfois, ou quelques soldats fatigués, quand elle osait sortir dans le couloir. Il lui arrivait de se poser dans l’encadrement du sas menant au labyrinthe scientifique et d’attendre, de regarder. La porte du bureau des gradés était juste en face, et c’était pour elle un territoire aussi mystérieux que terrifiant. Elle se disait que de l’autre côté, il y avait des gens capable de sortir, à l’extérieur du bunker, là où des gens meurent et s’entretues et là où le virus ravage et viol et dévore, il y avait ces gradés –et toutes ces personnes, là-haut- qui arrivait à se lever le matin en se disant que ça serait peut-être leur dernier.

Pandore avait envie d’être aussi courageuse, elle aussi.

Mais elle ne savait comment se rendre utile. Faiblesse et auto-destruction et- les mots de Mère sous son crâne, dans son cerveau, derrière ses neurones, lourds et épouvantables, asphyxiants « Une femme ne doit- ». Une femme est humaine. Une femme doit faire ce qu’il faut pour survivre. Une femme doit pouvoir se battre.

Alors Pandore sort, elle pose ses gants en latex sur le plan de travail et range délicatement sa blouse. Et elle monte. Elle monte plus haut qu’elle n’a été en un an. Pour la première fois depuis son arrivée, Pandore dépasse le niveau trois et sa chambre sans un regard en arrière, puis le niveau deux et le réfectoire –et déjà c’est dur, parce qu’il y a du bruit et des gens dans les couloirs, et ça se bouscule et ça se salue et ça se chamaille et il y a une odeur de bonne humeur malgré les tourments qui lui fait tourner la tête et le cœur et l’estomac, et Pandore à oublier ce que c’était d’être avec des êtres vivants, un peu.  Elle doit s’arrêter aux toilettes qu’elle croise en chemin et s’assoir contre le mur, son visage mouillé d’eau froide et de sueur et d’angoisse, parce qu’elle avait oublié à quel point les gens pouvaient être vivants.


Et puis, elle attache ses cheveux gras et abîmés et elle pousse la porte de la salle d’entrainement avec l’impression qu’elle va exploser sous la pression de l’adrénaline. Souffle court, erratique, la sensation de tomber et de mourir et de vivre trop fort, trop vite –déroutante. Pandore se souvient avec quel genre d’arme elle se battait avant –avec des robes magnifiques et des bijoux couteux et des rouges à lèvres pulpeux- mais ici, plus rien de tout ça ne lui sera utile. Alors elle pousse la porte de la salle d’entrainement, le cœur au bord des lèvres et sa vie entre ses mains.

Bordel. J'en ai marre, marre, maaaarre. Déjà deux mois que j'suis enfermé dans ce foutu Bunker, à tourner en rond comme un chien en cage. Des semaines qu'on me promet de bientôt m'autoriser à sortir en mission, et pourtant, je suis toujours là, à me faire chier comme un rat mort. Quelle idée j'avais eu de venir ici. J'avais l'impression de me retrouver une nouvelle fois en prison, comme à Babylon, à l'exception que cette fois-ci, j'étais correctement nourri, et j'avais un vrai lit. Pas de quoi se plaindre donc, sur le principe. Mais j'peux pas rester en place. Il me faut de l'action, j'ai besoin de voir l'extérieur, de me sentir un peu utile dans ce lieu clos et étouffant.

Au moins, j'avais trouvé un moyen de m'occuper. Les dirigeants de cet Eldorado moderne avaient pensé à installer une salle d'entraînement, au premier niveau. Heureusement pour moi, j'avais gardé quelques excellents restes de mon époque d'instructeur à Pedleton. Le principe était assez simple au final : montrer les techniques aux recrues, leur exploser la gueule, et leur gueuler dessus parce qu'ils sont pas foutu de faire correctement le mouvement. Enfin, pour l'occasion, j'avais du revoir ma stratégie à la baisse, pour correspondre à des civils totalement inexpérimentés. Je devais être plus "pédagogue". Conneries.

Aujourd'hui, entrainement au combat à mains nues avec un p'tit technicien. C'est déjà son troisième cours, et je dois dire qu'il se débrouille pas trop mal. J'lui enseigne du mieux que je peux les techniques apprises à l'armée, mais bordel, c'qu'il faut que je sois patient. Allez, faut pas que j'm'énerve, je dois faire bonne figure pour espérer sortir. Mais bon, pousser une gueulante de temps à autres, ça permet aussi de leur remettre les idées au clair et de capter leur attention, alors je ne m'en gêne pas.

Au bout d'une heure, mon technicien quitte la salle, épuisé et en sueur. Quant à moi, j'ai encore de l'énergie à revendre, m'étant contenté de parer les coups et de montrer les mouvements. Je m'assoie donc sur un banc, attrapant une petite bouteille d'eau, dont je bois quelques gorgées. Une petite pause ne fait jamais de mal. Bon, il y a quelques instruments de musculation, dans la salle d'à côté. Ça m'ferait pas de mal de me dérouiller un peu. Je me lève, étirant mon dos, avant de m'interrompre en entendant le bruit de la porte qui s'ouvre. Tiens, le technicien a oublié quelques chose ? Je tourne mon regard vers l'entrée, pour voir apparaître une jeune femme plutôt agréable à regarder, faut l'avouer. Cela dit, vu son physique, je serais surpris que ce soit une habituée. Je lui fais un signe de ma main droite, encore bandée après l'entraînement, pour l'inviter à s'approcher.

Salut. Tu cherches quelque chose ? 'Me semble pas t'avoir déjà vu ici.

Je croise doucement les bras, l'observant de haut en bas, la jaugeant physiquement. Ouais. Une scientifique certainement. P't-être qu'elle s'est perdue ? Je pose finalement mon regard sur les deux billes couleur noisettes qui lui servent d'iris, attendant sa réponse.

L’homme devant elle est grand, et musclé. Il sent la transpiration aussi, un peu, comme tout dans cette salle, mais rien de très flagrant. Il n’a pas de marque de sueur, ni sur son visage, ni sur ses vêtements, et elle a peur, parce qu’elle n’avait jamais vu quelqu’un avec ce genre de carrure aussi prêt. Elle se sent minuscule, et il ne bouge pas mais elle a déjà l’impression de suffoquer sous sa botte. Mais il lui fait signe, et elle s’approche, parce qu’elle ne réfléchit pas et parce qu’elle a peur. Et plus elle avance plus elle a peur, parce que l’homme est encore plus grand qu’elle ne le pensait et qu’il semblait faire la taille d’une montagne face à elle.
 
« - Salut. Tu cherches quelque chose ? ‘Me semble pas t’avoir déjà vu ici. »
 
Et soudain, elle a envie de dire qu’elle s’est perdue, qu’elle ne sait pas où elle est ni qui elle est, elle veut retourner dans son lit, chez elle, en Egypte, et elle a envie de dormir et de ne plus bouger, d’oublier et de se faire oublier. Pandore le regarde et la sensation de vertige s’agrandit, et son souffle racle dans sa gorge, comme un nuage d’éclat de verre.
 
Mais Pandore se souvient que l’Egypte n’est plus qu’un champ de mort, une culture de cadavre en décomposition, et que le peu qu’il reste s’égorge sauvagement pour savoir qui serait le repas de qui. Pandore se souvient qu’elle a laissé derrière elle sa maison depuis longtemps perdue et qu’elle doit se bouger maintenant, vraiment se bouger, et que c’est pour ça qu’elle est venue ici. Alors Pandore redresse fièrement les épaules et le menton et elle retrouve un peu de celles qui sont mortes –Mère et elle, mais surtout Mère- et elle redevient la femme qu’elle était, ou qu’elle aurait aimé être, et que sa génitrice haïssait.
 
 « Je ne vois pas en quoi ma présence aurait une quelconque importance pour vous. Pourquoi êtes venu vers moi ? Est-ce que vous cherchez quelque chose ? » Sa voix était rauque et râpeuse, inutilisée depuis beaucoup trop longtemps. Son accent la faisait buter sur certains mots et ça la frustrait, d’avoir oublié comment parler américain.
 
Pandore était venue parce qu’elle sentait son sang bouillir et ses mains piquer, dans les laboratoires. Elle n’aurait jamais pensé qu’elle était le genre de personne a avoir besoin d’un entrainement physique, mais après presque une année derrière un microscope, il paraissait que son corps atteignait ses limites. Alors elle était là maintenant, les bras ballants et les yeux écarquillés et venant de répondre de manière un peu agressive à un homme qui devait faire au moins le double de son poids rien qu’en musculature. Mais Pandore n’avait jamais été une femme à baisser les yeux. Pandore était venue dans l’espoir d’apprendre a se battre, alors elle était venu avec l’esprit en feu et la langue acérée, parce qu’elle sentait que si elle se laissait une seconde de répit, elle irait se terrer à nouveau dans son laboratoire, là où elle sait ce qu’elle fait.

Hé Bah, qu'est-ce qu'elle a celle la ? On dirait qu'elle est sur le point de m'faire un AVC. Nan mais sans déconner, c'est presque inquiétant à ce niveau la. Elle tremblote comme une feuille, les yeux écarquillés, comme si je pointais une arme sur sa tempe. J'fais pas si peur que ça quand même ? Si ?

Finalement, elle ose s'avancer jusqu'à moi, visiblement de plus en plus effrayé. Je reste immobile, la fixant, les bras croisés. Je sais pas ce qu'elle fout ici, mais visiblement elle est pas trop rassurée. Peut-être que y'a eu un accident dans le couloir et qu'elle est venue se réfugier ? Je lance un coup d'œil anxieux vers la porte. Nan, j'aurais entendu du bruit si c'était le cas. Maintenant qu'elle est juste en face de moi, je l'entends respirer comme une troupe de phoques bronchitiques. En fait, si ça se trouve, elle fait vraiment un AVC ? Ce serait con, après avoir survécu à l'apocalypse sur terre, de mourir d'un problème de cœur. Je penche doucement la tête sur le côté, comme pour être à sa hauteur, m'apprêtant à lui demander si tout va bien. Mais, avant même que j'eus le temps de parler, elle reprend ses esprits, et se redresse fièrement comme un chaton faisant face à un rhinocéros. C'était presque amusant.

Je l'écoutais parler, et au fur et à mesure, je me redressais, arquant un sourcil. Houla, c'est qu'elle a du caractère la petite ! Putain, pour une fois que j'essaie d'être sympa, j'me fais cracher à la gueule. Je lui lance un regard sévère, avant de répondre du tac au tac, mes instincts d'officier me revenant d'un seul coup.

Nan, t'as raison gamine, t'as aucune importance pour moi. J'sers d'entraîneur ici, mais visiblement, t'es pas là pour ça. Si t'as juste envie de faire le tour des lieux avant de retourner chialer dans ta chambre, grand bien t'en fasse. Moi, j'ai autre chose à foutre que de servir de guide touristique.

Et, à ces mots, je tourne les talons et me dirige rapidement vers quelques altères que j'avais repéré un peu plus tôt. Je m'en saisis de deux, les soupèse avec attention, puis commence mon exercice, alternant chaque levé, gardant la petite caractériel dans mon champs de vision, du coin de l'œil, afin d'être certain que cette dernière ne casse rien. Manquerait plus que ça, tiens !

La claque qu’elle se prit ne fut pas physique, mais c’était tout comme. Un torrent d’eau glaciale courut dans son corps de sa tête jusqu’à ses pieds, la faisant trembler de part en part, raidissant le moindre de ses muscles et paralysant ses membres. L’homme fait demi tour et retourne a son entrainement, et Pandore voit les bras se contractés pour soulever les poids des altères et Pandore c’est une scientifique, alors elle imagine le trajet du sang, la pression et les échanges neuromusculaires et la transpiration et il ne lui faut pas beaucoup de temps pour confirmer qu’un seul coup de cet homme suffirait à lui briser la mâchoire –ou la colonne vertébrale. Et en plus d’être une potentielle menace et donc une personne qu’elle ferait mieux d’avoir de son côté, la jeune femme prend ses mots en pleine figure et ça fait siffler ses oreilles et rougir ses joues –un peu, pas beaucoup, parce qu’une femme doit contrôler ses émotions.
 
Alors elle s’approche à petit pas au niveau de l’épaule de l’homme –jamais dans le dos, parce que surprendre quelqu’un dans le dos pour l’amener a faire des mouvements brusques et défense, et elle ne veut pas se retrouver avec trois dents en moins la seconde fois qu’elle ouvre la bouche en plusieurs jours.
 
 « - Je m’excuse, ma réaction était excessive et votre demande tout à fait cordiale. » Son souffle était saccadé, mais sa voix gardait un contrôle parfait. Avant que l’homme ne puisse répondre, elle se posta devant lui, le dos raidi par le malaise mais le regard droit et implacable.  « Je m’appelle Pandore Khamsin, je suis chercheuse au quatrième, dans le secteur de la xeno-bio. Enchantée de faire votre connaissance. » Et Pandore tendit sa paume dans l’idée de lui serrer la main. Elle n’avait pas l’habitude de se genre de chose, parce qu’une dame convenable ne se fait pas serrer la main, mais maintenant elle s’en fout, parce qu’une dame convenable ne doit pas savoir se battre non plus, et qu’elle est bien décidée à apprendre.
 
Elle voit les mains de l’homme qui soulève les altères et elle a peur, encore, parce que ses mains à elle sont blanches et toutes petites et asséchées par le talc qu’elle met dans les gants en latex, mais ses mains sont minuscules et douces et fragiles et qu’il pourrait lui broyer les phalanges. Mais elle se tient, déterminée, le menton haut et le regard fier, malgré ses doigts affolés.

Finalement, je la vois s'approcher du coin de l'œil, toute penaude. Ah, elle décide de revenir la queue entre les jambes ? Au final, elle n'a pas l'air si têtue que ça. Un bon point, déjà. Je l'écoute s'excuser sans rien dire, gardant mes yeux sur mes altères. Bien, on progresse. Je m'apprête à lui répondre, mais elle me devance, se mettant juste devant moi, visiblement encore assez mal à l'aise. Cependant, je remarque son regard franc et motivé, ce qui est plutôt bon signe. Bien gamine, tu t'améliores et surtout, plus important encore, tu apprends vite. Elle se présente, me tendant la main. Je garde mon regard posé sur elle quelques secondes, continuant mon exercice, dans le but de lui mettre un peu plus la pression, ce qui devrait pas trop lui faire de mal. Finalement, je dépose mes altères par terre, me relève, et attrape sa main de la main gauche -vu que celle-ci m'tend la main gauche-, lui faisant une poignée de main franche, la regardant droit dans les yeux. Elle me rend un regard franc, et je fais en sorte de ne pas trop serrer ma poigne pour ne pas lui faire mal. Elle a l'air aussi fragile qu'une brindille ! Je souris légèrement, l'inspectant de haut en bas du regard.

Moi c'est John. John Adama. J'devrais devenir Outsider d'ici quelques jours, mais en attendant, j'entraîne les recrues.

Je relâche finalement sa main, reprenant ma position naturelle, c'est à dire les bras croisés. Bon, à première vue, Pandore m'a l'air plus destinée à la danse et aux soirées mondaines qu'au combat. Cela dit, vu son air hautain et son regard fier, ça m'étonnerait pas que ce fut une p'tite fille de riche avant l'Apocalypse. M'enfin, j'vais pas commencer à creuser. Chacun ses p'tits secrets, pas vrai ?

Vu que tu n'es pas encore partie, et ton air décidé, je dirais que tu es ici pour t'entraîner, je me trompe ?

J'attends sa réponse, m'appuyant sur le mur, prenant un air un peu plus décontracté et plus avenant. Faudrait p't-être qu'elle arrête de croire que j'vais la bouffer ! Vu son attitude générale, en tous cas, on dirait que c'est le cas.

Pandore se sentait étrangement peu à peu plus détendu au fil de la conversation. L’homme –John Adama- ne se montrait pas agressif, ni menaçant et étrangement, l’idée d’un entrainement de l’effrayait pas tant que ça, au contraire. Elle sentait bouillir son sang dans ses veines et sa langue légère et tranchante de mot qu’elle avait gardé au fond de sa cage thoracique pendant presque une année. Pandore, après un an de mutisme presque complet, elle avait envie de parler, encore et encore, et de bouger aussi, parce qu’elle se sentait enchaîné dans ce corps qui a toujours été faible et fragile parce que c’est ce qu’une femme doit être et parce que c’est le genre de femme qui plait aux hommes de pouvoir et on lui a toujours dit que c’est le genre d’homme qu’il faut satisfaire, alors Pandore elle a toujours été fine et docile, parfois un peu trop, jusqu’à s’en faire vomir –pour toutes les raisons possible. Et maintenant c’est la fin du monde tel qu’elle le connait, et elle a l’impression de naitre.
 
La jeune femme reprend un peu de confiance mais pas de témérité. Elle hoche la tête à son explication et reste pensive à sa question, prenant garde d’ancrer ses yeux dans les siens, parce qu’on lui avait toujours dit qu’une femme doit baisser les yeux en signe de soumission, alors elle, le regarde les gens dans les yeux et elle relève le menton, comme une reine, ce qu’elle tente d’être parfois, mais elle a du mal, parce qu’on ne lui a pas apprit à être une reine mais a se comporter en esclave.
 
« - Non, je ne veux pas m’entrainer, je veux me battre. Je veux me battre jusqu’à apprendre, je veux me battre en mettant ma vie en danger, parce qu’un jour elle le sera, et je ne veux pas pleurer parce que les entrainements et la réalité, ce n’est pas pareil. Je veux à armes réelles, à coups réels. » Pandore l’examina une seconde et l’idée que ce fut une mauvaise idée n’eue pas le temps de germer dans son esprit qu’elle la tua, l’étrangla, l’avorta. Elle vit les cicatrices sur les bras de John Adama, et elle se dit qu’elle avait les siennes, invisibles, silencieuses, celles qu’elle avait à l’intérieur de sa poitrine ou celles qu’elle aurait aimé se faire pendant un temps. Pandore n’avait plus peur de lui, parce qu’il pouvait bien faire la taille qu’il voulait, il pouvait lui casser autant d’où qu’il aimerait, il ne l’aurait jamais. Et ça c’était le plus important. Alors elle avança encore d’un pas. « Je ne veux pas m’entrainer avec vous. Je veux me battre contre vous. »

Visiblement, la p'tite semblait reprendre un peu de poil de la bête et de confiance en soi. Enfin ! Si elle avait continué de trembler comme ça, elle aurait fini par me donner Parkinson. Elle me regarde avec un air fier, hautain, décidé. Je lui rends son regard d'un air neutre, presque plus amusé qu'impressionné à vrai dire. Elle en était presque mignonne en fait !

J'écoute ce qu'elle me dit attentivement, tandis qu'un sourire amusé s'étire sur mes lèvres. Alors comme ça, on sait pas encore marcher qu'on a déjà envie de courir ? Je me retiens de rire, mais c'est quand même assez difficile. Cela dit, elle n'a pas tort. Dehors, il n'est plus question d'entraînement ou de règles. C'était la dur loi du plus fort, celle du survivant. Cela dit, pour pouvoir vaincre, il fallait déjà avoir une bonne dose de discipline et d'expérience. Et malheureusement pour elle, elle n'avait visiblement pour le moment aucun des deux. J'la vois alors avancer d'un pas vers moi. Oh merde, elle est sérieuse ? Mon sourire s'efface peu à peu, et je lui lance un regard intrigué. Je devais lui accorder une chose : elle manque pas de courage la petiote. Elle réaffirme son envie de se battre sans retenir mes coups. Ce serait tentant, histoire de lui donner une petite leçon. Mais d'un autre côté, elle semble toute mignonne et toute fragile. J'préfère éviter de lui péter quelque chose, il vaut mieux.

Non, laisse tomber petite, tu va juste te faire mal.

Je me retourne et m'avancer vers un établi un peu plus loin où sont alignés trois magnifiques bâtons en chaine. Parfait pour comm... Je m'interromps lorsque j'entends un bruit métallique dans mon dos, et me retourne juste à temps pour voir l'un des deux altères s'écraser à mes pieds. Je reste pendant une seconde à fixer l'altère, bugant mentalement. Elle a fait ça ? Elle a vraiment fait ça ? Nan pas possible. Mais si ! Putain, j'vais lui éclater sa gueule. Tu veux jouer hein ? J'vais te montrer c'que c'est de jouer dans la cours des grands. Je relève la tête vers elle, la fixant soudainement pou m'avancer vers elle a grands pas. Instinctivement, elle recule. Oh non, tu vas pas t'échapper ma belle. J'esquive rapidement un coup de genou mal préparé, avant de lui tordre violemment le poignet de la main gauche. Mais... Qu'est-ce qu'elle fout ? Putain, mais elle essaie vraiment de me mordre là ? J’vais lui montrer c’que je fais aux clébards moi. Je lui décroche un coup de genou en plein dans le bide, que j’amortis au minimum, histoire de tout de même pas lui casser quelque chose. C’est une leçon, pas une mise à mort quand même. Je la relâche, la laissant s’étouffer toute seule au sol. Je reviens sur mes pas, arrivant jusqu’à l’établi, où j’attrape l’un des bâtons d’un mètre vingt. Ok, game on. Je le fais machinalement tournoyer dans ma main droite, comme pour réveiller mes vieux réflexes. Je retourne vers Pandore, qui de son côté semble s’en remettre difficilement, en position assise désormais. J’avance, tranquille pépère, prenant bien mon temps. Inutile de se presser, vu son état. Puis, une fois à portée, je donne un coup de bâton horizontal, fauchant de droite à gauche à la hauteur de son torse. Et là, de façon surprenante, elle réussit à bloquer mon coup avec son bras, attrapant mon arme. Hey bah, elle a de la réserve finalement ! Elle tire le bâton vers elle, et je me laisse emporter avec lui, profitant de l’élan pour lui décrocher un magistral coup de genou dans la mâchoire. Cette fois, c’est fini. Elle tombe par terre, se tenant le visage. Je la regarde une seconde, puis, me penchant vers elle, je saisis fermement son épaule pour la retourner, l’obligeant à se tenir sur le ventre. J’attrape son bras gauche, que je passe dans son dos en le tordant, puis je fais de même avec son bras droit. Maintenant que ses bras sont immobilisés dans son dos, je me laisse lourdement tomber à califourchon sur elle, l’empêchant complètement de bouger. Fini de jouer. Je lui plaque l’épaule gauche au sol de ma main gauche, me saisissant de ses cheveux de la main droite pour l’obliger à garder la tête contre le sol, la joue droite collée contre, son oreille gauche en l’air. Je reste quelques secondes comme ça, le temps qu’elle se calme, puis je me penche doucement vers elle, approchant ma bouche de son oreille.

Avant de vouloir jouer dans la cour des grands, gamine, commence déjà par apprendre les bases.

Je la relâche, me relevant soudainement, avant de m’éloigner pour aller choper une bouteille d’eau tiède où je bois quelques gorgées. Je regarde mon « apprentie » quelques secondes, puis je plonge ma main dans une glacière non loin, avant de lui jeter un peu de glace en sachet.

Lorsque que John Adama avança vers elle, Pandore pensa que ce n’était peut-être pas une bonne idée de l’avoir provoqué. Ni d’avoir tenté de lancer un altère plus lourd qu’elle. La tête qu’il fait en se retournant cependant est suffisante pour qu’elle estime que ça valait le coup. Jusqu’à ce qu’il arrive en face d’elle, avec son mètre quatre-vingt dix. Elle ne s’autorise pas a reculer cependant, et sa tentative de coup de genoux est faiblarde et il faut moins d’une seconde pour que son poignet se retrouve enfermé dans un étau d’acier. Son esprit tournait à vive allure, avec une vélocité qui peignait un voile flou d’adrénaline sur le monde autour d’elle. Forcément, elle tenta de faire avec les moyens du bord, approchant ses dents du poignet de l’homme, mais c’est un coup de genoux –un réussi, lui- qui la cueille au ventre et lui coupe le souffle. Elle a l’impression que la moitié de ses organes menacent de quitter le navire quand son corps tombe au sol. Chaque inspiration pour regonfler ses poumons les fait hurler d’agonie et ses muscles protestent vivement lorsqu’elle s’assoit –ou qu’elle se recroqueville sur elle-même, enfin elle aimerait, mais elle a mal, et c’est tout ce qu’elle arrive a penser.

Elle a l’impression que le temps s’accélère lorsque l’homme s’approche avec un bâton, et elle se demande s’il est si en colère que ça, ou s’il est simplement taré, ou s’il ne fait que lui montrer ce qu’elle a demandé à voir.

Le bâton s’arrête contre son bras quand elle levait les mains pour couvrir sont visage, c’est surprenant mais bienvenu, et elle ne réfléchit pas, elle tire dessus, parce que dans sa tête, elle pouvait faire tomber un homme de ce poids et avec cette force juste avec ça. Pandore pensait avoir gagné au moins un petit point dans cette bataille, et puis le même genou qui l’avait frappé aux côtes quelques secondes plus tôt la percuta en pleine mâchoire. Un cri sort de sa poitrine, frayant son chemin à travers sa gorge. La douleur explosait dans sa tête et dans sa colonne vertébrale. Pendant une seconde, elle crut qu’elle était partout. Elle sait qu’elle s’est mordue la langue aussi, parce que ça saigne et le sang a un goût de rouille, de cuivre et de cerise, et que ça lui donne envie de vomir.

Pandore se fait immobiliser sans se battre, parce qu’elle a mal, et qu’elle ne savait pas qu’une telle douleur était possible. Plaquée contre le sol, elle a du mal a ouvrir sa mâchoire et a respirer, parce que ça langue saigne et son nez saigne et elle a l’impression qu’elle se noie. Ses poumons se contractent, la faisant toussoter, et ça va un peu mieux après avoir ingurgité une partie de son hémoglobine. Et elle sent ses cheveux se faire tirer en arrière et elle sait qu’elle aurait du avoir honte, parce qu’il n’était pas concevable qu’une dame se retrouve dans cette position, et quelque part au fond de son cerveau, elle sait qu’il peut voir sa nuque, qu’il peut voir son tatouage et l’abomination qu’il engendre, mais elle est trop fatiguée pour se débattre, trop fatiguée pour hocher la tête quand il parle. Pandore ferma les yeux et les ténèbres furent réconfortantes pendant quelques secondes, parce que ce n’était pas douloureux. Et alors qu’il se lève, elle lui dit merci. Sincèrement. La jeune femme ne sait pas s’il l’a entendu, mais une poche de glace tombe près d’elle quelques secondes éternellement longues plus tard, alors qu’elle commençait presque à trouver cette position confortable.

Elle se lève tant bien que mal, et elle trouve que ce n’est pas si difficile. Elle n’a rien de cassé, pas de plaie ouverte, et la seule chose qui saigne et son visage, et ça goutte sur son t-shirt trop grand et sur son menton et sur ses lèvres. Debout sur ses deux pieds, le visage tourné vers le bas, elle regard son sang goutter par terre, et elle crache, parce qu’elle n’aime pas ça, c’est visqueux et désagréable, et elle essuie le dessous de son nez avec mais ça ne marche pas vraiment, elle s’en étale sur la joue plus qu’autre chose. Alors Pandore essaye des choses. Elle prend un bord de son t-shirt et le remonte jusqu’à son nez, mais il est en rapidement imbibé et en quelques secondes, le fluide vital le traverse. L’esprit embrumé par les fantômes de douleur qui la poignardent a chaque seconde, elle tourne le dos a celui qui a été son mentor le temps d’une dérouillée et retire son haut, le calant sous ses narines.

Pandore n’a jamais vraiment été pudique. On ne lui a pas apprit à être pudique, au contraire. On lui a apprit à se trouver un mari, et un mari aime les femmes bien faites, alors quand ils peuvent voir la marchandise sans détruire son honneur, ça les arrange. Mais ça c’est très loin de ses préoccupation. Là, elle penche sa tête en arrière, une main sur le torchon qui la couvrait quelques temps avant et une autre sur la poche de glace, inutile, pendant le long de son bras. Elle avait mal a tellement d’endroit qu’elle ne savait où est-ce qu’elle devait la mettre en premier.

Ok, j'y suis peut-être allé un peu fort en fait. Au moment où j'lui envoie la poche de glace, Pandore est encore au sol, se tenant la tête. Je reste immobile, attendant de voir ce qu'elle va faire. Quand on tombe, faut apprendre à se relever tout seul, première règle d'un marine. Elle finit par doucement se relever, et même d'ici, j'arrive à voir son nez qui saigne abondamment. Bon, si ce n'est que cela, ça devrait aller. Elle tente d'éponger le saignement avec ses vêtements, mais visiblement, ça marche plutôt mal. Putain, j'y suis allé si fort que ça ? J'attrape ma bouteille d'eau, buvant une nouvelle gorgée, gardant un œil sur les actions de la femme. Finalement, elle se met dos à moi, et retire son T-Shirt pour tenter d'entraver l'écoulement du sang. Visiblement, ce dernier n'allait pas tarder à être souillé à son tour.

Maintenant que je la voyais en soutif, je pouvais clairement apercevoir son tatouage, deux serpents entrecroisés. Plutôt beau et détaillé, j'dois l'avouer. Etonnant d'ailleurs de trouver ce genre de tatouage chez quelqu'un qui ressemble un peu à la petite fille modèle. Un moyen de contrer l'autorité parentale, je suppose ? M'enfin. Je sers ma bouteille dans ma main droite, avant de finalement prendre la décision de retirer mon haut à mon tour. Après tout, c'est de ma faute si elle est dans cet état. J'en éprouve presque du regret, mais bon, faut bien qu'elle apprenne. Au moins, elle ne refera plus de fois la même erreur. Je sens mes cicatrices sur mes bras, mon dos et mon torse me brûler, comme des traces d'un passé que je préfèrerais jeter aux ordures. Foutus Soleils Rouges. Je garderai leur trace toute ma vie maintenant, comme une honte de m'être laissé prendre. Il y avait cependant mon ange gardien de visible désormais. Le griffon sur mon omoplate droite. Il était devenu mon porte-bonheur au fil du temps. Courage, force, détermination. Des qualités que j'essayais chaque jour de respecter.

Je m'avance jusqu'à elle, posant une main sur son épaule, avant de caler mon t-shirt sous son nez, retirant le sien désormais imbibé de sang. J'évite de la mater désormais, ce serait pour le coup vachement déplacé. Je lui mets la bouteille d'eau dans la main droite, avant de prendre la parole.

Tiens, bois, ça te fera du bien.

J'attends qu'elle le fasse, inspectant en vitesse le reste de son corps pour vérifier qu'elle n'a rien. Quelques bleus, pas de quoi trop s'inquiéter donc. Je plonge finalement mon regard dans ses yeux. Pendant moins d'une seconde, j'ai l'impression de m'y noyer, mais je n'en laisse rien paraître.

J'vais t'amener à l'infirmerie. Je préfère m'assurer que t'as rien de casser.

Je lui attrape doucement le bras, la tirant légèrement pour l'inciter à me suivre. Lorsque nous sommes en marche, je la relâche finalement, pour ne pas la gêner plus. Bon. Mon t-shirt préféré était maintenant imbibé de sang, et j'avais cassé la gueule à une gamine adorable, bien qu'un peu téméraire. Je pense qu'on peut appeler ça une journée merdique, hein ?

Pandore était passée en mode automatique, laissant Adama lui coller un tissu sous le nez et lui fourrer une bouteille entre les mains. Elle l’écouta, hochant la tête de manière assez évasive et amenant la bouteille a sa bouche douloureuse. L’eau effaça en partie le goût cuivré du sang dans sa bouche et coula le long de sa gorge, l’hydratant généreusement. L’agonie de son visage commence à refluer doucement, même si la douleur est toujours présente, elle reste plus supportable. Elle tâte son nez tout doucement et prie pour qu’il ne soit pas cassé –ce qui n’a pas l’air d’être le cas, bienheureusement. Elle le regarda dans les yeux une seconde, quand il mentionna de l’amener à l’infirmerie, et elle fit un sourire un peu ironique.
 
« - Ne vous inquiétez pas, je ne serai pas défigurée. » Fit-elle sur le ton de l’amusement, le laissant néanmoins la tiré vers ladite infirmerie. Pandore était plus que capable de se soigner elle-même, elle n’était peut-être pas médecin mais elle avait étudié le corps humain et ses réactions a différents virus depuis des années, elle savait comment soigner un nez en sang et une langue égratignée. Mais là, maintenant, elle avait envie de dormir. Depuis combien de temps n’avait-elle pas prit une bonne nuit de sommeil dans un lit, et pas assise devant son bureau ? Depuis combien de temps n’avait-elle pas dormi plus d’une paire d’heure d’affilées ? Des années, il lui semblait. Alors elle se concentra sur comment faire fonctionner ses jambes et le laissa être le cerveau de cette balade.
 
John Adama avait des cicatrices, beaucoup. Et le peu de personnes qu’ils croisèrent se retournèrent sur leur passage, parce qu’ils avaient l’air fin comme ça, mais Pandore avait l’habitude. D’un côté, elle se dit qu’elle aurait bien aimée être défigurée, parce que ça aurait fait faire un infarctus a mère, et ça, ça n’avait pas de prix. Perdue dans ses pensées, elle pouffa discrètement en pensant au visage tordu d’honneur de sa génitrice en voyant dans quel état elle était là, maintenant, et lorsqu’on l’assit sur un lit de l’infirmerie pour la soigner, elle se contenta de répondre aux questions par des mouvements de tête.
 
Et elle fut désinfectée, de la crème fut posée sur ses bleus et un bandage sommaire fut appliqué sur son poignet douloureux. Avant qu’elle ne s’en rende compte, elle était allongée, le sommeil commençant à l’engloutir et Pandore se redressa, attrapant le poignet du l’homme qui l’avait accompagné jusque ici.
 
« - La prochaine fois, c’est moi qui vous casserai la gueule. » Elle entendit un rire grave et fort et une main tiède sur son front la poussa à se rallonger sur les draps rêches du lit.
 
« - Tu peux toujours essayer gamine. » Et Pandore sombra dans le sommeil.