Il y a l’odeur familière de la poussière et celle, plus dure et plus subtile du cuir. Le grincement du bois qui gémit et le papier peint jaune qui renvoi une lumière tamisée chaude et fausse et artificielle. Il y a les effluves d’un thé à la menthe –senteurs fraiche, forte, brulante, et elle déteste le thé à la menthe. Perplexe. Hésitante. Toujours un pied à l’intérieur et un pied dehors. Un pas à franchir, un seul, mais sûrement le plus compliqué, le plus difficile. Se battre, non pas contre son corps mais contre son esprit –une lutte interne douce et sauvage, la lutte de l’envie contre le besoin, intrinsèques, inhérents, indissociables, et pourtant. Le corps –spectateur, victime, martyr- plié aux exigences de l’un puis de l’autre –faire demi-tour et partir et rentrer et s’assoir et hurler et pleurer.
 
Pandore était toujours resté de l’autre côté de la porte. Parfois elle passait devant, parce que le salon est proche de la bibliothèque, et parfois elle se perd, elle tend l’oreille et elle entend les histoires, les sanglots, les rires, elle entend les gens qui se libèrent et se relâchent, ceux qui brisent leurs chaînes et ceux qui les renforcent. Pandore voit –un peu, dans l’entrebâillement de la porte, mais pas beaucoup- surtout, elle entend. Elle entend la vie de l’autre côté, elle entend les sentiments et elle entend les voix –chaudes, froides, graves, aigues, humaines- et ça lui donne envie de pousser la porte, parce que des fois elle n’arrive plus à se dire qu’elle est humaine, parce qu’elle a oublier comment communiquer, mais elle réapprend, lentement.
 
Pandore va être envoyée en mission. Dehors. A l’extérieur. Là où rien n’est sûr à part la mort et l’abandon et la dureté du monde, de l’humanité, de ce qui n’est plus humaine et de ce qui ne l’a jamais été. Pandore va devoir faire équipe, elle va devoir communiquer, écouter et obéir. Alors on lui a dit de venir, parce qu’ils ne sont pas sûrs que sa santé mentale arrivera à tenir le coup là-haut, là où il n’y a plus les murs protecteurs du bunker et les couvertures épaisses sous lesquelles elle se cache pour ne pas voir les monstres dans sa cage thoracique. Mais aujourd’hui on lui dit qu’elle ne peut pas continuer à fermer les yeux et le cœur, qu’elle doit faire comme les autres, être faible et pleurer pour mieux se remplir de force et de courage.
 
Alors Pandore pousse la porte et avance, mais elle ne s’assoie pas. Elle contourne les sièges et les canapés et les fauteuils et les chaises autour de la petite table basse. Il y a des rafraichissements –un peu, surtout de l’eau en réalité- et quelques bouts de pains spongieux. Pandore se met dans un coin de la pièce, présence lointaine et fantomatique, parce que s’assoir aurait été comme admettre qu’elle avait besoin d’être là, d’écouter et d’entendre et de parler, et elle n’en avait pas besoin, on l’obligeait à en avoir besoin, mais elle n’en voulait pas. Alors, attendant que la salle se remplisse, elle se recroqueville dans un coin, prêt d’une table, et sors un livre ; un livre de science compliqué, l’écrire est petite et serrée et la lumière jaune lui fait mal aux yeux, mais la blouse autour de son corps est une promesse –bientôt elle retournera dans les labos, et elle pourrait extériorisé comme elle l’entend : en travaillant à détruire le plan grand maux que l’Humanité ait subie.

- ... L'homme crée seulement quand il aime, quand il baigne dans l'illusion de l'amour, c'est à dire, quand il croit de façon inconditionnelle à quelque chose de juste et de parfait. Si on force quelqu'un à ne plus aimer de manière inconditionnelle, on tranche les racines de sa force. Tout être vivant a besoin d'être enveloppé dans une atmosphère, dans un voile de mystère, si on enlève cette enveloppe, si on condamne un être à graviter comme un astre privé d'atmosphère, on ne doit pas s'étonner de les voir se dessécher, devenir durs et stériles.

- Rust, vous cherchez à nous dire que vous vous sentez vide et perdu depuis la perte de vos proches...?
- Je dis qu'il suffit de regarder le monde à la surface pour savoir qu'aucune illusion assez solide pourra nous berner sur notre fin à tous. Les raisons de se tirer une balle ici et maintenant sont aussi nombreuses que les feuilles sur les branches d'un arbre et que ces séances ne changeront rien à cet état de fait.

Et voilà chéri, cela ne fait pas dix minutes que la séance a commencé que tu as déjà pourri l'ambiance. La psychologue t'avait simplement demandé de te présenter au cercle, comme tout nouvel arrivant le faisait mais il avait fallu une simple remarque de ton voisin pour t’amener à philosopher sur un énième vaste sujet, prétexte fumeux pour justifier l'inintérêt à tes yeux d'une telle séance. Simple fuite en avant, car au fond, c'est ta pudeur et le fait d'exposer tes failles au grand jour qui te faisaient craindre le pire.

- ... Bien. Merci pour votre témoignage monsieur Turner. Mais dans ce cas, si vous pensez que tout cela n'a pas de sens, que venez vous chercher ici ?

Tu laissas souffler un silence avant de reprendre la parole, articulant simplement :
- Du répit.

C'est bien entendu là où il y aurait long à dire que tu t'abstenais de tous détails.
Après avoir fait superviser ta plaie au bas ventre à un médecin du bunker, tu lui avais parlé brièvement des visions qu'il t'arrivais d'avoir - de plus en plus fréquemment d'ailleurs - de moi, morte. Ce dernier avait eu la bonne idée d'en référer à la psychologue en chef et t'avais presque contraint à assister à l'une de ces séances sans quoi il était en droit de te signaler non apte pour une prochaine mission à la surface.

L'autre vérité, bien plus enfouie cette fois, était que tu ne savais trop comment m'extirper de ta conscience et encore moins comment te pardonner.

- Pandore... C'est cela ? Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots la raison de votre venue dans ce cercle ?

Tes paupières s'alourdissaient à nouveau et ton ouïe s'estompait à mesure que les uns et les autres s'exprimaient jusqu'à son tour à elle. D'abord surpris par le fait qu'elle n'était pas médecin, comme tu l'avais supposé lorsque tu étais entré dans la pièce. Vêtue d'une blouse blanche et ainsi postée dans un angle de la salle, comme si Pandore observait l'arrivée de futurs patients, tu lui avais demandé si elle n'était pas une des heureuses détentrices de cigarettes. Les plus hauts gradés étaient autrefois les mieux servis, il n'y avait pas de raison pour que cela change.

Pour mieux convaincre la jeune femme, tu lui expliquas qu'il s'agissait pour toi de l'unique remède efficace à ton mal car il purgeait, réjouissait, et confortait ton cerveau. Qu'en un mot le tabac délivrait et que, "qui vivait sans tabac n'était pas digne de vivre". Mais convaincre ne semblait pas suffire en ces temps de vaches maigres et votre conversation fut vite interrompue par l'annonce du début de séance.

Pandore donc. Au delà de la blouse, il fallait lui reconnaitre une beauté évidente qui n'aurait laissé aucun homme indifférent ici, pas même toi malgré tes relents d'homme brisé. Au delà de ses joues légèrement creusées par le régime imposé par la vie au bunker, son regard ne semblait ne rien avoir perdu de son intensité, si ce n'était ce voile de tristesse impénétrable que tu lus lorsqu'elle prit la parole.

Pandore espérait que si elle ne répondrait pas elle serait oubliée, ou qu’elle pourrait se fondre dans le mur dans son dos. Les mains tremblantes, secouées de terreur, serrées contre son ventre, autour de ses côtés, se rassemblant sur elle-même pour ne pas se perdre, pour ne pas s’oublier, pour se pas se souvenir. Elle espère que si elle ne répond pas elle ne ferait pas parti de ces pauvres gens perdus qui sont volontaires pour venir, pour la plupart, et qui pense que partager leur douleur aux autre leur donne un peu plus de force, et Pandore veut se taire et partir, mais elle se souvient, alors elle baisse la tête et hausse la voix.
 
« - Je viens parce que c’est nécessaire. » Corde vocales abimées, enraillées, fatiguées. La rouille dans la gorge et le feu, le raclement, comme du sable qui grince et qui érafle. « Je viens parce qu’on m’a dit que j’étais obligé, si je veux sortir. Je vais parti de l’équipe de biologistes, si la blouse n’était pas suffisante. Et je… Je veux que ça s’arrête. Je ne veux plus de mort et de désolation et de rien, je ne veux plus être coupable, coupable de ne pas réussir, coupable d’échouer, coupable de ne pas essayer assez fort, je ne veux plus parce que ce sont vos visage qui me hantent le soir et vos hurlements qui me torturent la nuit, et égoïstement je ne veux plus de toute cette merde. » Un bras se resserre autour de son ventre et elle haïe ce vide qui n’aurait pas du être là et le rien qui la remplissait.
 
 « - Je viens parce qu’on m’a promis que je pourrais être là-haut et que je pourrais enfin voir le jour, et que je pourrais, pour quelques heures, vous oubliez, oublier les responsabilités que vos vies, vos existences me mettent sur le dos. »  Pandore ne pensait pas être aussi en colère, ni d’avoir autant d’énergie pour l’extérioriser. La fatigue faisait trembler son corps et elle avait l’impression qu’elle était sur le bord de l’évanouissement. Deux respirations plus tard, ses bras se croisèrent sur ses genoux, devant elle, et elle enfouie son visage à l’intérieur, se protégeant de leurs regards. Elle voulait juste aller dormir. 



Pandore a vu du coin de l'oeil cet homme, celui qui est venu vers elle en début de séance, les mains dans les poches, l'air un peu agars et une envie de nicotine. Pandore se souvient ajour regarder les cernes sous ses yeux et avoir pensées qu'il lui ressemblait un peu aussi, avec cet air d'envie de rien et de pas grand chose, juste de tranquillité. Alors lentement, sans un regret, Pandore a retiré de sa poche sa seule et unique clope, celle qu'elle garde depuis un an et celle qu'elle coince entre ses lèvres quand elle n'arrive plus a réfléchir parce que son cerveau va vite, beaucoup trop vite et qu'elle est trop fatiguée pour comprendre. Et elle lui tend. Maintenant, ses doigts se serrent sur du vide mais elle ne regrette pas, pas après le sourire qu'il lui a fait -un simple sourire de remerciement, pas grand chose, mais la plus forte interaction sociale qu'elle n'ait subie depuis des mois.

Ton cœur se serre, je te sens frémir tandis qu'elle parle et pose des mots sur des sensations et sentiments qui te sont extrêmement familiers. J'ai bien peur qu'elle te ressemble, tout du moins vos souffrances se ressemblent. Vous semblez hantées par des démons avec un sentiment de culpabilité fusionné en vous tel une ombre. Bien que tu ne veuilles l'admettre, tu es impressionné par sa faculté à exposer en plein jour ses failles, sans plainte ni pleurs souvent de paire dans ce genre de déclaration. Jamais tu n'aurais eu le courage de dévoiler tes peurs aussi simplement qu'elle devant des inconnus. Et puis au fur et à mesure de ses mots, tu redresses la tête pour la fixer bientôt d'un regard adouci que tu n'offres qu'aux êtres chers.

Tu te reconnais encore dans cette fuite souhaitée au delà des murs du bunker, l'échappatoire, dehors, même si la terre que l'on a connu n'existe plus, tu te dis que tu es davantage fait pour cette terre de désolation que cette vie contrainte en société. Peut être parce que la désolation est un état qui te semble, somme toute, plus familier. Mais pourtant tu restes. Pour une raison très simple : la survie.

Je pense que Pandore n'a rien de semblable avec toi. Si l'on regarde en arrière, sa vie, ses choix, ses rêves, sont à des années lumières des tiens. Mais malgré tout cela, tu semble croire qu'il se crée entre elle et toi un lien spécial, une impression familière, une connivence implicite.
Foutaises.

Je n'aime pas cette femme. Lorsqu'elle déposa ses yeux sur toi, je sentie qu'alors le temps d'une seconde, mon souvenir se brouilla dans ton esprit. Et puis sans crier gare, voilà qu'elle te tend un objet, et non des moindres, une cigarette.

[ Changement de narrateur: Rust ]
Je la prends entre mes doigts tel un cadeau. Car en effet, c’en est un. J'ai l'impression que cela fait des années que je n'en ai pas vu. Je scrute le bâtonnet mortel comme s'il s'agissait là d'un trésor, et remarque l'emprunte de ses lèvres sur son extrémité. Redressant la tête, je lui souris, sincèrement, j'ai l'impression que mes zygomatiques ne s'en sont toujours pas remis d'ailleurs. J'imagine le nombre de fois où elle a du poser ses lèvres et répéter ce geste anodin, de l'allumer. Alors à mon tour, je la porte à ma bouche, ferme les yeux, et fais mine de l'allumer. De tirer dessus, et de souffler un nuage imaginaire en sa direction.
A nouveau je lui souris, je me sens bien.

- C'est un régal. Merci. Mais, si c'est ta dernière, je ne l'allumerai pas, elle a bien trop de valeur pour la gâcher ainsi.

Je lui rendis son bien après l'avoir fait rouler entre mes doigts. Le tour de table terminée, la psychologue proposa au groupe de se mettre en binôme afin de raconter dans un contexte plus intimiste, un point marquant de notre histoire que le second, "l'écoutant", allait devoir restituer à l'ensemble du groupe. L'intérêt étant d'entendre d'un regard extérieur une version différée de sa propre histoire.

Mon binôme était tout trouvé. Je ne me posai pas la question de savoir si elle le voulait ainsi, mais me concernant, elle était la seule personne dans cette salle à m'inspirer confiance et sympathie. Peut-être bien la seule du bunker d'ailleurs.

- Tu es déjà retourné à la surface depuis que tu es ici ?

J'avais tendance à n'en faire qu'à ma tête et pour l'heure, je souhaitais rebondir sur ce qu'elle avait raconté plus tôt avant de passer à un exercice protocolaire. Pandore. Prénom étrange qui soulevait en moi bon nombre d'interrogations.

Pandore eu l’envie de décliner, de lui offrir sa seule cigarette, de se lever et de partir. Mais l’homme semblait étrangement accueillant et son regard était chaleureux sur elle –ou du moins elle en avait l’impression, fantasmant un peu d’humanité à son encontre. Lentement, sa main encore un peu tremblante se leva et ses doigts saisirent la clope. Faire attention à ne pas le toucher, repousser le contact, parce qu’il était plus dur de se priver de quelque chose qui n’a pas commencé –l’espoir d’un lien humain, même infime, enraciné au fond de son ventre, faire déraciné avant même que l’embryon ne perce le rêve de la volonté. Elle remet la cigarette entre ses lèvres abimées et prend une profonde inspiration, imaginant la fumée dans sa gorge, dans ses poumons, la nicotine dans ses bronches, et le placebo fonctionna. Elle voulait remercier l’homme d’être entré dans son jeu –d’avoir compris l’importance de ce rituel, de ce petit monde- et de s’être rendu ridicule avec elle. La chaleur de son propre ventre était encore douce contre sa paume quand elle secoua négativement la tête.
 
« - Mon travail est en bas. » Lâcha-t-elle finalement, se retenant de se mordre les lèvres d’anxiété. «  Je cherche et je m’efforce de trouver, et je me demande pourquoi je dois chercher, et si ça en vaut la peine, mais on me dis que c’est le cas, alors je cherche et j’arrête de me poser des questions. » Ca la gênait de parler de quelque chose d’aussi personnel à quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. La confiance, tranchante et minime, le regard froncé et le cœur fermé, fermé à l’instinct et fermé à l’humanité, parce que c’est plus facile sans, mais tellement moins simple. L’envie de parler, pour se libérer, se libérer physiquement et mentalement, tout laisser sortir et avoir le droit de voir la lumière du jour, mais à quel point le voulait-elle vraiment ? « Sortir m’a l’air d’être une bénédiction autant qu’un maléfice maintenant. Je veux revoir l’extérieur mais j’ai peur d’y trouver quelque chose de pire qu’ici : de pire que l’isolement, pire que les rations, pire que les lits, pire que cette part d’humanité qui a survécu, mais à quel prix ? »
 
Ses doigts se resserrent sur la clope mais elle ne casse pas, et Pandore se dit qu’elle n’a pas assez de force pour le faire, ou pas assez de colère peut-être, et que tout ça est faux, qu’elle ne sait plus quoi penser ou quoi ressentir et elle se calque sur les autres, ceux qui se révoltent un peu mais qui n’ont pas le courage de faire quoi que ce soit.
 
« - Je suis Pandore et pourtant, ma fonction ici est apotropaïque. » Elle savait son discours décousu et sans liens, mais ça avait le bénéfice de refléter un peu ce qu’il se passait sous son crâne –des réverbérations de pensées à l’infinies, des bouts de phrases qui s’entrechoquaient et se multipliaient sans jamais trouver de fin. Pandore avait peur que son cerveau soit en ébullition et qu’il fasse exploser sa boîte crânienne à ce rythme, mais elle se trouva presque déçue de savoir que ce n’était pas le cas. « Et vous, pourquoi survivre-vous ? »

La curiosité me triturait l'esprit. Avait-elle des indices, des pistes concernant ce gaz ? Son évolution sur les êtres-vivants entrant à son contact ? J'avais entendu parler de chiens mutants et de toutes sortes de rumeurs digne de contes pour enfants. Mais vu son désarroi la réponse à mes interrogations étaient une évidence. Sans surprise, aucune lueur d'espoir ne se profilait à l'horizon. J'imaginais les croyances implicites des gens du bunker qu'elle devait portait sur ses épaules, l'insupportable responsabilité de tous, et elle était enchainée à ce rôle sans nulle autre alternative, que d'obtenir des résultats. Tout bien pensé, je me sentais bienheureux dans mon malheur. Je ne pense pas que j'aurai accepté à sa place, quand bien même aurai-je eu le choix, je ne croyais déjà pas à notre survie à tous, alors de figurer aux yeux de certains comme un infime espoir de lendemain, cela mettait impossible.

Je l'écoutais attentivement ne sachant trop quoi lui répondre de positif. Oui, son rôle ne servait à rien. La race humaine ne pouvait survivre à un tel chaos et ce n'était pas en remuant trois éprouvettes dans un ridicule labo de bunker où les moyens étaient réduits et absolument pas prioritaires, que l'on trouverait une solution miraculeuse, du moins pas avant de nombreuses générations, peut-être, avec une chance incroyable. Donc, pour ne pas lui fiche plus le bourdon qu'elle ne l'avait déjà, je préférai me taire.

Puis elle me parla de sa fascination du dehors, à lire son attitude on aurait cru qu'elle n'avait pas eu de contact humain depuis un moment. L'extérieur avait gardé ce quelque chose de sublime, propre à la nature, je ne me sentais jamais autant vivant qu'à la surface. Lorsque le vent te fouette la peau, le son des choses a une saveur toute nouvelle et familière à la fois et l'immensité face à soi émeut le plus insensible des hommes. Même si en mission, l'on veut éteindre tout ce remue ménage en soi, le retour sur sa terre natale saisit n'importe qui. Mais... Mais il y avait aussi cette vision apocalyptique, ces buildings désenchantés et ces pillards qui te fait redouter l'apparition de chaque nouvelle tête à ta portée. J'aurai pu lui décrire le beau et le mauvais du dehors, mais ça aurait été lui gâcher le plaisir ou l'horreur du jour J.

- Je pense que ta fonction ici est foutrement ambitieuse, pour ne pas dire irréaliste, mais néanmoins, elle est pourvue d'une chose rare : elle a un sens. J'insiste sur ce dernier mot, marquant une pause avant de poursuivre. Nombre d'hommes et de femmes débarquent ici, on leur colle une fonction à la con et faute d'être assez solide ou malin, se retrouve avec pour seul projet de vie de récurer les chiottes du bunker. D'une, à côté, t'es plutôt bien garni. Et de deux, je suis sûr que pour certain, ce que tu fais leur donne la lueur d'espoir qui les fait se lever le matin, même si tu sais au fond de toi, que ça ne mène nul part, que t’arrivera à rien c'est certain, dis toi que ça compte pour eux. Pas besoin d'arriver à un résultat, ta simple présence suffit à les maintenir en vie. Tu sauves déjà des vies "d'en bas".

Tandis que coule mes mots, je ne me rends pas compte que je fixe un point vague, portant de temps à autre mon regard sur elle. Je réfléchis alors à sa question et marque une nouvelle pause avant d'y répondre, relevant inconsciemment le torse. Pertinente question à laquelle au fond, je n'en sais foutrement rien. Je tente tout de même d'y répondre :

- ... J'aurai tendance à dire que c'est parce que je suis trop lâche pour me foutre en l'air. Mais je ne sais pas si c'est l'unique raison. Franchement ? Je la regarde droit dans les yeux, comme si j'y cherchais une réponse. ... J'en sais rien. J'étais flic avant, un bon flic. J'y trouvai un sens avant... J'hésite à lui parler de Lou mais m'y refuse à la seconde. ... Avant que je foute tout en l'air, et que ce gaz n'arrive. Je pense que je peux être encore utile, arrêter les méchants, c'est mon truc après tout. Même si jouer les justiciers semble démodés par les temps qui courent, c'est ce qui fait sens pour moi. Quitte à y laisser ma peau, j'aurai au moins fait ça de bien dans ma vie.

Au moins ça oui. Je dois avoir une gueule de déprimé en puissance tandis que se repasse dans ma tête les souvenirs de Lou. Oscillant entre des moments joyeux aux plus dramatiques. Je finis par sortir de mes pensées et reviens vers elle :
- Dis moi Pandore, qu'aimerais-tu retrouver de ta vie d'avant ?