No light, no light in your bright blue eyes

Flashback

Levons un verre ou deux.
Elle avait perdu le fil, Ave. Elle avait arrêté de compter le nombre de fois où elle avait susurré à son oreille le mot « encore » comme s’il était possible de stopper les mouvements coordonnés de leurs bassins chevillés l’un à l’autre. Elle avait continué, elle l’avait arrêté. Elle avait joué, récupérant la bouteille de liquide âcre en espérant changer – naïve qu’elle était de croire qu’il y avait moyen de chasser le naturel sans qu’il ne retrouve le chemin jusqu’à sa porte. Ils avaient recommencé.
Levons un verre ou deux.
L’aube n’était plus très loin lorsque la jeune femme s’était résignée à l’abandonner, le plaisir ancré tout au fond de son âme et les poumons brûlés d’avoir eu à retenir chacun des gémissements créés par ses cordes vocales calcinées. Heureusement qu’il y avait le jeudi pour glander ; heureusement. Mais le jeudi n’était qu’un jour, et il s’évaporait souvent à une telle vitesse que l’Outsider pensait n’avoir eu qu’une minute pour s’évader – pour dormir et oublier.

Pour dormir et cauchemarder.
Bientôt, des sons l’arrachèrent à ses songes incolores et la jeune femme grommela quelques jurons dans sa langue maternelle à l’intention de ses colocataires qui se préparaient déjà. Le boucan ne s’arrêta pas pour autant, achevant de la faire glisser dans sa peau de mauvaise humeur.

ㄧ Vos gueules, qu’elle crachait dans son accent.

Sauf que s’ils en avaient quoi que ce soit à foutre de son avis, ses camarades se gardèrent de coopérer. Elle grogna une seconde fois, avant d’enchaîner sur un nombre incalculable de râles rauques et peu sensuels qui en disaient long sur ce qu’elle s’apprêtait à faire au malheureux qui s’attarderait dans la chambre quand ses paupières se décolleraient.
Une fois lâchée par Morphée et les effets désastreux qu’il avait sur sa petite personne, Ave rejeta ses draps d’un mouvement rageur et se resquilla dans le premier pantalon de yoga de sa collection ; pantalon qu’elle agrémentait d’un simple débardeur. Sans même passer par le réfectoire – il était tôt, les cuisines commençaient seulement à s’échauffer – l’Outsider se coula jusqu’à la salle d’entraînement. Elle avait un mécontentement à faire passer et il y avait sûrement une foule de bleus sur lesquels cogner un peu. Sa colère s’ébranla néanmoins en apercevant une silhouette connue ; Wayne.
Un sourire joueur s’insinua sur sa trogne d’ange aux ailes arrachées, et elle s’autorisa à prendre de l’élan avant de lui sauter sur le dos. Ses jambes s’enroulèrent autour de sa taille pour se refermer sur son ventre, et l’un de ses bras minces entoura sa gorge pour la coincer dans le creux de son coude.

ㄧ Ton heure a sonné, Wayne Holden !

No light, no light in your bright blue eyes

Quelques regards se tournèrent dans leur direction, désapprobateurs pour quelques-uns, amusés pour d’autres. Une poignée avait même l’air effrayé, comme s’il était question de se jeter sur le dos d’un lion qui – désormais réveillé – s’apprêtait à la bouffer. Elle haussa un sourcil, lançant des œillades venimeuses autour d’elle tout en s’accrochant à sa cible avec un aplomb qui frôlait la bêtise ; si elle aimait se donner en spectacle, elle n’appréciait pas pour autant que des couilles molles s’accordent à la prendre en pitié de cette manière. Wayne n’était pas un monstre. Wayne n’était pas un monstre, hein ? Elle adressa un doigt d’honneur à l’une des recrues qu’elle connaissait vaguement pour l’avoir démonté plus d’une fois durant les entraînements ; recrue qui se détourna aussitôt pour tenter un repli stratégique vers les portes. Ave grimaça. Le souvenir du coup qu’elle avait porté entre les jambes du garçon de la vingtaine devait être encore trop frais dans sa mémoire pour qu’il ose à nouveau l’ouvrir face à elle. Peut-être.
Ou alors il la haïssait purement et simplement, chose probable également.

ㄧ Alors, techniquement… T’es censé mourir étranglé par mon coude, pas sous mon poids.

Elle referma davantage son bras sur la gorge lorsqu’il tenta de bouger, exposant sa joue que la jeune femme n’hésitait pas une seconde à mordre, le menton chatouillé par les poils d’une barbe naissante. Une fois contentée – parce qu’elle commençait à drôlement s’amuser – Ave ronronna en relâchant son étreinte pour retomber souplement sur ses jambes, un sourire moqueur scotché sur la trogne. Par prudence, elle esquissait quelques pas en arrière pour ne pas se faire surprendre s’il décidait de la jouer à l’irrégulière, exactement comme elle venait de le faire.

ㄧ Si tu voulais me coller une fessée, tu aurais pu le faire cette nuit, pas la peine d’attendre l’entraînement.

Elle provoquait à mi-voix, s’assurant au passage que personne d’autre qu’eux ne pouvait suivre l’échange ; les coups d’un soir – ou même les coups réguliers – il était préférable de les passer sous silence, à cause des règles. Des règles que la jeune femme découvrait de jour en jour, d’ailleurs. Hors d’atteinte, l’Outsider trépigna d’un pied sur l’autre d’un air pensif, comme si elle pesait le pour et le contre.

ㄧ C’est pas que j’ai peur de prendre une râclée, tu comprends mais… Elle se pencha en avant, pour murmurer. Après le plan de cette nuit, j’ai mal à la chatte. J’suis pas à cent pour cent, quoi, donc tu vas forcément me latter.

Nouveau sourire, faussement navré, ponctué d’un haussement d’épaules peu convaincant. Pour chuchoter, Ave avait été obligée de se rapprocher – geste ô combien orchestré. Alors qu’elle faisait volte-face d’un mouvement lent pour quitter la pièce et l’abandonner là avec un plaisir non feint, la jeune femme envoya sa jambe droite à la rencontre de l’une de celle de Wayne, espérant toucher le côté du genou et le faire ployer sous son propre poids.
Le problème avec Ave, c’est que déjà dans la cour de récré elle adorait prendre des coups et en distribuer ; impossible de soigner une telle tare alors que les défauts prenaient davantage d’ampleur en vieillissant, hein.