Aussi idiot que ça puisse paraître, Arnold pouvait faire le fou même après une nuit avec très peu d'heures de sommeil. Beaucoup pensaient pourtant qu'il était du genre à roupiller aussi souvent dans son compartiment que dans le labo afin d'avoir toute l'adrénaline gâchée inutilement dans ses grands gestes de singe. Et pourtant non. En même temps, ça expliquerait aussi pourquoi il serait suffisamment ramolli du cerveau pour sortir quelconque blague carambar ou remarque à deux balles. Non parce qu'il en a fait bouffer du « Là tu vois la pièce... et là tu la vois plus ! ». Mais non, ça restait un mystère chez lui : Arnold conservait toujours la même forme même après avoir travaillé et fait la bringue la nuit passée. On se le demandait souvent, mais on ne trouvait jamais comment.

Entre 22h et 23h, la moitié du bunker était déjà endormie, et ça concernait davantage les deux premiers niveaux. Mais créchant la moitié de sa vie au 4ème, il était normal de savoir le bigleux encore debout. En train de manipuler l'éprouvette sans but productif en plus. Certes, ça l'entraînait et ça lui faisait passer le temps, mais il s'agirait pas de gâcher les effectifs du laboratoire pour ses petits plaisirs. Heureusement, Arnold était juste idiot, pas con. Il savait s'arrêter quand il le fallait, gonflant cependant ses envies de faire le clown ailleurs. Mais la nuit était tombée et peu de personnes qu'il connaissait étaient encore éveillées, du coup il pouvait bien se permettre de s'amuser tout seul, tant qu'il n'y avait personne !

- Juste... comme çaaa...

Et ça lui arrivait de parler tout seul. Ou à ses instruments, ce qui n'était pas forcément mieux. Mais tout le monde a déjà causé au vide au moins une fois dans sa vie hein.

Alors qu'il renversait une solution dans une autre dans un geste évoquant vachement le service du thé indien, un bruit strident fit écho dans ses oreilles, la pièce, le niveau et même le reste du bunker. Surprit, Arnold sursauta en manqua de lâcher ses éprouvettes. Il renversa le reste de son produit sur le bureau, sa main et le sol, mais ne cassa rien. Paniqué, il reposa immédiatement ce qu'il tenait en réalisant la signification de cette sonnerie qui faisait vibrer tout les tympans : un début d'incendie.

Avec une précipitation sans nom, Arnold fouilla (pour ne pas dire qu'il dégagea le reste) le contenu d'un placard pour en ressortir un seau, qu'il alla immédiatement remplir d'eau  à l'aide d'un tuyau d'arrosage relié dans un coin délaissé du laboratoire (le tout enfermé dans un caisson fixé au mur). Il baragouina de rapides et saccadés « hurry hurry hurry HURRY- » avant de saisir le dit seau rempli jusqu'à ras-bord, puis de courir comme un dératé en dehors de la pièce pour se faufiler fissa dans les couloirs adjacents. Il courut jusqu'à l'alarme la plus proche qui venait de se déclencher – toujours au 4ème niveau – en croisant quelques personnes qui s'interrogeaient de la soudaine agitation. À ces gens-là, Arnold ne manqua pas d'hurler des « J'M'EN OCCUPE » qui se voulaient rassurants, tout en renversant régulièrement l'eau qui débordait déjà trop.

Enfin, il atteignit sa destination, là où le bruit faisait des trous dans le cerveau.

D'un geste rapide et maladroit, il élança ses bras devant lui, vidant le contenu de son seau. Et l'eau heurta la base du feu, qui devait être là puisque la fumée ne pouvait s'être élevé jusqu'au détecteur autrement.

Arnold souffla, les mains toujours agrippées sur le seau, en se disant qu'il avait fait un bon boulot de sauvetage. Jusqu'à ce qu'il réalise la nature de toute cette panique. Ce n'était pas un incendie qui avait déclenché l'alarme – qui peu après que le « feu » ne se soit éteint, s'arrêta aussitôt – mais un malheureux bout de cigarette allumé au mauvais endroit. Et derrière cette cigarette à présent ramollie – et... éteinte – se trouvait la main d'une jeune femme qui restait figée après s'être littéralement prit un seau d'eau en plein visage. Qui dégoulinait le reste du corps.

Arnold reprit son souffle en détaillant la personne du regard, ne se rendant compte que trop tard de sa bêtise. Les autres personnes alertées aux alentours avaient vite fait de retourner à leurs occupations et postes.

… Bon. Au moins, l'alarme s'était arrêté.

Non seulement il avait balancé de l'eau sur quelqu'un, mais en plus ce quelqu'un ne réagissait pas très bien. Normal, en même temps. Si on avait lancé de l'eau sur la personne entière d'Arnold, lui non plus n'aurait pas forcément très bien prit la chose. Mais quand même... là c'était une femme. Et les femmes, ça se vexe vite. La seule expérience qu'il possédait de ces créatures-là, c'était l'image de sa grande sœur, Christa. Elle, elle s'énervait tout le temps. « Arnold, pose ça ! » ou « Arnold, arrête je te dis ! » même à pas loin de la trentaine et responsable dans son travail. Elle était comme ça, du genre à réprimander en cas de mauvaise habitude, à faire sa stricte môman si un détail la faisait grimacé. Lui, il s'en fichait, parfois ça l'amusait, parfois ça le faisait soupiré. Tout ça pour dire qu'il avait l'habitude des madames qui gueulent.

Et donc, Jill pouvait bien hurler, Arnold n'allait pas s'en sentir trop coupable.

« Vous êtes COM…Vous êtes complètement malades ?! »

Le seau vide dans les mains, il la regarda, un peu hébété, et scanna des yeux son état de haut en bas. Enfin, il réalisa ce qu'il venait de faire.

- Oh.

« Un désolée ne serais pas de refus après une douche d'eau glacée. Non ?! »

- Ah si. Là si. Euh... fit-il en se massant copieusement la nuque tout en fixant ses jambes trempées. Je pensais qu'y'avait le feu. Désolé ?

Il n'avait déjà pas l'habitude à s'excuser auprès de sa sœur, alors auprès d'une inconnue... Parce qu'il ne connaissait pas Jill. À toujours resté la plupart de son temps au quatrième sous-sol, et de par sa crainte du dehors, Arnold ne connaissait pas beaucoup d'Outsiders. Ça faisait bientôt deux mois qu'on l'avait affecté au bunker A, et il n'avait pas encore retenu les noms et visages de tout le monde. Il avait autant d'amis que d'ennemis, et cette fille, quelle qu'elle soit, allait sans doute basculer dans la deuxième catégorie... si elle était du même calibre que Christa.

- Personnellement, je ne fume pas, mais même moi je sais que c'est pas malin de le faire sous un détecteur... Alors euh, faites attention la prochaine fois ?

À ces mots, il haussa les épaules. Si haut que c'était à croire que lui-même ignorait les règles de procédure avec un paquet de cigarettes ou un détecteur de fumée. Il laissa ensuite tombé le seau, qui rencontra le sol dans un bruit qui fit écho dans le couloir. Comme en face d'un problème insoluble, Arnold se massa encore la nuque sans que l'idée de lui donner une serviette pour se sécher ne lui vint.