Malgré lui, Arnold était un type qui savait être sérieux quand il le fallait. Et il le fallait quand il bossait. Et là, il bossait. Ses collègues pouvaient venir le voir, lui parler deux secondes et repartir, c'était l'heure de travailler et d'arrêter les conneries. Ça n'ôtait pas chez lui le singe qu'il était, mais au moins, il savait comment joindre les deux bouts – en plus, ça donnait souvent des frayeurs aux autres; qui sait quelles choses précieuses il était susceptible de leur faire perdre. Situé à l'autre bout du laboratoire, il n'entendit pas le trio de gens entrer ou se faire « méchamment » rembarré par les autres scientifiques.

Un rangement d'éprouvettes à côté de son livre ouvert, Arnold ne releva la tête que lorsqu'il entendit un « Faut qu’on se parle. » sauvage au-dessus de lui, venant de la bouche d'une femme. Ce genre de créatures avec lesquelles il avait pour habitude de se mettre à dos; plus par habitude que par misogynie. Il n'eut cependant pas le temps de répondre qu'un visage bien connu, celui d'Anarchangel, se pencha vers lui en lui soufflant dessus.

« Alors on dit que ma leader se prends des gros vents ? Je vais lui montrer c'est quoi un vent !! »

Sa mèche - bleue, cette fois - monta et descendit au rythme du « vent » qui fit également grimacer le scientifique, ne laissant aucunement le temps à Arnold d'en placer une. Sauf en voyant une éprouvette basculer sur le côté.

- Anar', fait ga-

Et celle-ci se brisa sur le sol. Silence.

« Oupsi... »

- Ouais, « oupsi », tu l'as dis, soupira-t-il. P'taiiin mais Nanar' ! Tu viens de m'exploser deux semaines de test là ! J't'aime bien mon con, mais là t'as fais fort !

Puis il frotta frénétiquement sa mèche bleue précédemment soufflée, en même temps pour la remettre en place. Anarchangel était un type cool, pour pas dire qu'il s'entendait super bien avec, ils étaient comme deux cochons qui adoraient se rouler dans la boue après tout. Mais bon, là, il venait de faire une belle bêtise. Et heureusement pour le fautif, ce n'était que le travail d'Arnold. Si l'éprouvette était le fruit des efforts de plusieurs chercheurs réunis, pour sûr qu'il allait se faire mettre à la porte d'un coup de pied au derche. Heureusement pour lui, Arnold était son pote.

C'est seulement maintenant qu'il se souvint qu'il était accompagné. De cette femme et d'un... type dont il ne savait rien. Arnold tourna lentement sur lui-même pour intimer ses collègues de ne pas s'en mêler et qu'il gérait la situation, avant de se tourner vers les trois, joignant ses mains comme s'il ne s'était rien passé.

- Bon ! Qu'est ce que je peux faire pour vous ?

« Ahhh Sully ne me fait pas cette tête là, tu sais que c'était un bête accident... Je vais me racheter regarde ! »

Il rajusta ses lunettes pour être certain de voir son pote se pencher pour goûter la substance sans étiquette qu'il venait de renverser... Il le savait inconscient, mais à ce point-là ? Ça aurait été de la pisse colorée qu'il l'aurait gobé sans savoir quand même !

« MMMMMHHHHH !!! COMME CETTE SUBSTANCE GOÛTE BONNE !!! »

- Bravo mec, tu viens de lécher un poison de type 7 qui va te ronger les intestins en moins de dix minutes.

Puis il laissa quelques secondes de silence – du sien, bien entendu – avant de reprendre.

- Mouarf, ta tête ! Non mais, c'est pas toxique. Par contre tu feras gaffe quand t'iras aux toilettes. Et s'il te plaît, Nanar'... fait plus ça sans prévenir.

Lorsqu'il fut pleinement disposé à écouter – cette blague – la femme parmi le harem masculin, il se tourna vers elle. Franchement, si Arnold n'avait aucun respect propre pour les femmes, il baillerait pendant que Tamara lui déroule son speech. Ce qu'il fait, en fait. Il l'interrompit dans son discours bien brodé à la Hollywoodienne FBI police judiciaire d'état, levant la main devant elle tel un fullstop en regardant sur le côté, puis jeta encore un œil sur la fiole brisée ainsi que son contenu renversé.

« On veut touuuuuuuuuuut savoir, histoire de survivre ! »

- Oula, oula, deux secondes mademoiselle, fit-il dans un français ultra déformé par son accent américain. Je me fiche un peu de quelle escouade vous êtes, que ce soit la Hôtel, la Bravo ou la « Hip hip hip hourra ». Moi je suis sous contrôle des supérieurs, et j'ai pas spécialement envie de me faire jarter dehors en cas de pépin.

Il regarda alors les trois, demandant silencieusement un moment de réflexion. C'était sans compter Anarchangel qui déblatérait de nouvelles idioties. Mais habitué à sa voix qui occupait toujours l'espace dans lequel il se trouvait, Arnold parvint à réfléchir – à réfléchir, oui – sans pour autant être dérangé. Il fit même quelques pas devant le trio, sans prêter d'oreille attentive à la question existentielle de sa mèche.

Étant scientifique, il devait changer de comportement en fonction de qui lui parlait. S'il ne faisait pas gaffe, Arnold allait s'attirer les foudres des supérieurs. Et parfois, il avait le droit à communiquer aux plus civils « pour rassurer ». Très franchement, s'il le pouvait en étant sûr de ne pas se mettre potentiellement en danger, il leur dirait tout ce qu'il sait. Mais qu'est ce qui était sécure, qu'est ce qui ne l'était pas ? Surtout qu'il n'y avait pas que ça, comme problème... Il s'arrêta enfin dans sa petite marche pensive, et les regarda.

- Je vais pas vous mentir... Je peux pas trop vous renseigner. Et c'est rien contre vous, hein ! C'est juste que j'ai déjà croisé des gens comme... il s'arrêta sur Tamara. Vous, qui m'ont demandé des renseignements aussi. Mais vraiment, faut pas croire que c'est parce qu'on est scientifique qu'on sait tout sur le bout des doigts.

Il allait reprendre, lorsqu'il jeta subtilement un regard autour de lui, en direction de ses collègues occupés aux alentours. Comme un ninja, il fit signe au trio de se rapprocher un peu de son bureau, comme si le simple fait de s'y pencher allait leur apporter la réponse à l'univers – qui n'est pas 42. Arnold sembla s'en mordre les doigts – surtout les joues – et ouvrit un petit carnet, à plat sur la table, avant de leur montrer une petite ligne entourée d'une dizaine de coups de crayon gris.

- Regardez, là, vous voyez ? … C'est... un calcul que j'ai jamais su résoudre quand j'étais en troisième.

Puis il se redressa, la mine désolée sur le visage. De manière grossière, il leur avait affirmé qu'il n'avait pas réponse à tout.

- « Causes naturelles et humaines », c'est tout ce qu'on sait. Je suis un scientifique embauché à l'arrache, comme nous tous. Désolé.

Il se tourna alors vers Anarchangel.

- Et c'est bleu électrique.

Elle commençait à lui plaire, la blonde. « Cause toujours, tu m'intéresses », pensait Arnold. Mais « hop hop hop, t'entends... ? Le silence... » était plus proche des mots qu'il était sur le point de lui rendre. Mais bon : il y avait deux messieurs ici aussi, dont un de ses p'tits potes, il n'allait pas faire la fine bouche morale (c'est peu dire). Tamara semblait vraiment décidée à ne pas repartir sans un morceau de paperasse, ou juste une réponse qui pourrait la faire avancer dans quelques suppositions de son esprit. Mais bon... et s'il ne pouvait vraiment rien faire ? Il secoua un peu la tête, ennuyé par le même speech dont il s'était déjà lassé, et fit la grimace malgré le sérieux dont il a bien voulu faire preuve il y a un instant. Il allait renvoyé promener la jeune femme, mais Colin s'avança :

« ]On aimerait juste savoir ce qui nous attend réellement dehors vous savez m’sieur. On ne vous demande pas un grand secret, juste un petit quelque chose qui nous renseigne légèrement après tout… Les escouades vont dehors quoi…[/ »

Il n'avait pas tort. Arnold regarda alternativement les deux hommes, dont ce type dont il ignorait l'existence jusque-là et Anarchangel, un gars aussi fou que bien investi dans son boulot (malgré ses bévues toutes bêtes, comme, boire un machin inconnu sorti du labo'...). Il n'allait pas les moucher comme les autres scientifiques, et c'était sans doute pour ça que l'escouade est venu le voir. Il n'allait pas imiter les connards du coin, hm ?

- Écoutez...

Il se massa la nuque, signe qu'il n'y avait pas que l'incompétence derrière ses mots; mais la gêne aussi.

- Y'a des trucs, je suis pas autorisé à les dire. Et tu m'connais, Nanar' : j'désobéis pas aux ordres. Je fais pas partie d'une escouade et j'le souhaite pas, j'suis bien à l'intérieur. Alors...

… Un autre soupir lui échappa.

Il leva le doigt, leur intima le silence, puis partit dans un coin de la pièce sans rien dire – en leur demandant donc silencieusement de ne pas le suivre. Arnold disparut dans la pièce adjacente, puis réapparut avec une feuille. Elle n'était pas criblée de mots, ou même de calculs, non, juste... Il n'y avait qu'un petit paragraphe fait au crayon gris. À l'arrache. Sans doute rien d'officiel ou même d'archivé dans les laboratoires. Il leur fit à nouveau signe de se pencher sur son bureau, et cette fois, ce n'était pas une blague. Il pose la feuille par-dessus le carnet qu'il avait ouvert et chuchota :

- Hé. Je peux pas vous dire ce qu'on sait. Mais je veux bien vous dire un truc que je sais. En vrai, on le sait un peu tous, on a découvert ça lors d'une petite réunion entre nous, mais c'est pas marqué noir sur blanc avec l'imprimante, alors...

Il passa brièvement son doigt sur le crayon, veillant à ce qu'aucun de ses collègues ne vienne le prendre sur le fait.

- On sait encore rien dessus, mais on a checké un peu le taux de... bon, je vais prendre des mots simples : on va dire « contamination ». Eh ben, le taux de « contamination » pourrait être un peu plus fort qu'on l'aurait cru jusqu'ici... du genre... Vous risquez déjà votre peau en sortant avec les protections, et tout, tout ça... Mais on pense à rendre ça un peu plus costaud, histoire que ça traverse pas. Après, c'est une grosse grosse hypothèse que j'ai noté, mais faudra faire gaffe à tout ce qu'on fait car... Ben... faudrait pas que... ça aille sous terre.

Dans le bunker, quoi.

Il y eut un silence, puis Arnold se redressa.

- J'ai rien de plus. Dites ça à personne, ok ? Si vous répandez ça partout, ils vont chercher qui a balancé, et j'vais m'faire tuer...

Il jeta le même regard à tous, mais finit sur Anarchangel : fallait qu'il en pipe pas une, lui !