_" ...C'était Wölsam, le dernier extended play de Taylorythm. Je vois qu'il nous reste encore quelques minutes, alors avant de rendre l'antenne, je vous laisse planer sur le son au timbre si particulier du beatmaker Flume avec When Everything Was New. Un crescendo qui illustre à merveille les premières lueurs du jour. C'était le Jerry Show, je vous dis à la semaine prochaine, même heure. " Le voyant ON AIR s'éteignit, permettant à Jerry de souffler un peu. Brève accalmie avant que tout ne soit plus qu'obscurité. Il n'y eut aucune émission la semaine suivante, il n'y avait plus de radio de toute façon, seule la désolante complainte des grésillements bourdonnait sur toutes les ondes.
 
Pendant ces heures sombres, comme tant d'autres, il perdit ses proches et l'insouciance d'une vie construite sur le confort. Alors quelque chose se brisa chez Jerry ; et puisque ce monde ne représentait plus rien à ses yeux, il s'en bâtit un tout autre, plus coloré, plus joyeux, plus léger, plus... mieux. De cette construction mentale émergea "The Happy" : sourire figé d'un passé imaginaire.
 

 
L'escouade fit une pause et allez savoir comment, mais Bundy parvint à s'endormir en plein milieu de celle-ci. L'arrêt avait pour but de jauger la situation et déterminer leurs capacités à transporter leur récente découverte.
 
_" Jerry ! " Le coup de pied qui suivit termina de réveiller le quadragénaire. _" Rapproche toi du Bunker pour les prévenir de la situation, nous ne pouvons pas rapporter et les vivres et les munitions. Demande leur ce qui est prioritaire. Et fais vite s'teuplé ! "
 
_" Il court il court le furet, le furet d'Bundy l'taré..."  Un petit clin d'œil à son camarade et Jerry partit à grandes enjambées vers le Sud, en direction du bunker.
 
Sa remarque chantonnée ne présentait aucun intérêt, sinon celui d'acquiescer un ordre. Loin de faire le difficile, le quadragénaire suivait, depuis son arrivée au bunker A, chacune des directives qu'on avait bien voulu lui confier. Et jusqu'à présent, aucun de ses hiérarchiques n'avaient eu à se plaindre de ses résultats. Quelques remarques parsemées cependant les rapports des missions, principalement pour relever son attitude... particulière. " [...]dérangé mais efficace[...]" par ci, " [...]étrange réaction, lorsqu'il est revenu avec un message du service de communication, il chantait le téléphone pleure de Claude François[...] " par là. Il intriguait plus qu'il n'inquiétait et d'une façon générale, son attitude détachée de la réalité ne passait pas inaperçue.
 
Ayant diminué la distance le séparant du bunker à un kilomètre, Jerry établi la connexion avec les "Bourdons", comme il aimait les appeler -les grésillement sur la ligne en était probablement la cause- et leur détailla le dilemme.
 
_" Mes p'tits bourdons, on n'a qu'dix bras et cinq sacs. Va falloir shooter entre les provisions et les munitions, parce qu'on n'va pas s'taper quinze allers-retours. À vous. "
 
_" Putain Jerry t'es chiant ! On t'a déjà dit de pas nous appeler comme ça. "
 
_" Ca veut dire que j'prends les munitions ? À vous. "
 
_" Nan ! Attends deux secondes. " Le bruit sur la ligne s'amplifia, Jerry joua alors avec les potentiomètre de sa radio de fortune pour moduler le signal plus proprement. " Rapportez la bouffe. On verra une prochaine fois pour les armes. Confirme réception. "
 
_" OK, on va se faire un gueuleton du feu de dieu ce soir. Terminé ! " Puis il repartit en direction de son équipe, en fredonnant un nouvel air.

Jerry n'est en rien représentatif des quadragénaires de son époque, apocalypse ou pas. De longs cheveux blancs, maintenus en arrière à l'aide d'une simple ficelle et une petite barbe, toute aussi blanche, lui dessinent le contour du visage. Tandis qu'en plein milieu de celui-ci, s'affiche fièrement un indécrochable sourire. Qu'a-t-il de plus que les autres pour être systématiquement content ?
 
Rien, sinon un peu de folie.
 
N'allez pas croire que celle-ci l'handicape de quelque façon que ce soit, au contraire. Car c'est cette même folie qui lui permet de parcourir, à plusieurs reprises, la distance séparant son escouade du bunker et ainsi, de garder la communication ouverte entre les deux. Pour sûr il sait courir et à défaut d'être un as de la gâchette, il est vivement recommandé de ne pas se retrouver à portée du bras d'Happy Bundy, ni de son couteau soit dit en passant.
 
Un quelconque miracle a voulu que ses lunettes teintées survivent à la fin du monde, ce qui n'arrange en rien sa prestance. Non, Jerry n'a rien du leader charismatique souhaité en pareil situation... clairement pas. Par contre, demandez lui un petit aller-retour à l'extérieur et il sera le premier ravi de s'y rendre.

_" Alors docteur ? Qu'est-ce que vous pensez de lui ?"
 
_" Difficile à dire. Je serais presque tenté de le catégorisé comme schizophrène si la situation extérieure avait été toute autre. "
 
_" Comment ça ? "
 
_" Eh bien... il semble totalement déconnecté de la réalité, à croire que l'enfer extérieur ne l'atteint aucunement, que tout ceci n'est qu'un jeu pour lui, une étape passagère. Pire, que rien n'existe. Vous savez, " le psychologue réajusta ses lunettes sur son nez, " chacun réagit différemment à la perte d'êtres chers, la plupart des membres du bunker -pour ne pas dire tout le monde- en sont autant d'exemples, mais lui... lui erre dans les tréfonds d'un monde dont il est le seul à en connaître le contexte, croyez moi. "
 
_" Représente-t-il une menace ? "
 
_" Pas pour nous, non. "
 
Tandis que le docteur terminé le rapport du debriefing à un haut gradé, dans le couloir au loin, Jerry sifflait l'air de Run Rabbit Run, de Flanagan et Allen, alors qu'il se dandinait joyeusement vers les douches du niveau moins trois. Il était vingt-et-une heure et la mort, encore une fois, l'avait raté de peu dehors.