« Curiosity – the desire to learn or know about anything »
A sa naissance, l’être vivant n’est que l’expression d’un agrégat d’informations génétiques transmises par son ascendance. En ce qui concerne le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, cette ascendance est asiatique, chinoise pour être plus précise. Ce qui découle de cette génétique, outre des traits physionomiques certains, est encore au cœur de nombreuses controverses. Ce dont on est certain, c’est qu’à cet instant le nouveau-né est une page blanche – ou ici, jaune –, une boule d’argile que les années d’expériences vont façonner.
C’est d’abord une éducation, un environnement culturel qui vont développer chez le jeune enfant des schémas, des idées qui lui seront préconçues. Notre sujet a ici grandi dans un cadre familial que certains qualifieraient de « favorable ».
La mère est issue d’une vieille famille chinoise ayant immigré aux États-Unis à la chute de la dynastie Qing au début du XXe siècle. Elle a joui d’une éducation privilégiée, a suivi un parcours brillant à Stanford décrochant un doctorat avec mention en littérature. Esprit acerbe, c’est une mère aimante mais exigeante.
Le père est lui issu d’une famille plus modeste. Ses parents, tous deux lettrés, ont fui la révolution culturelle  de Mao et se sont installés outre-pacifique. Il grandit en héritant de l’esprit critique de ses parents et devint journaliste. Bien que se revendiquant progressiste et ouvert d’esprit, il s’avère très attaché aux traditions de sa famille, de ses ancêtres.
Après une rencontre, une idylle amoureuse et un mariage poliment toléré par la famille de la mariée, ces deux individus formèrent donc un foyer idéal pour un enfant. Dans un logement de taille honorable de la banlieue de Seattle, ils conçurent puis élevèrent leur seul et unique enfant. Ils donnèrent ainsi toutes les chances à leur enfant de réussir. Ils développèrent notamment son incroyable soif de connaissances qui constitue aujourd’hui la pierre angulaire de toute son existence.
Par la curiosité, il s’ouvrit à de nombreux sujets, s’intéressa à la littérature, aux sciences, à la philosophie, aux arts. Il s’enquit également de connaître l’humanité et pour la comprendre les êtres humains qui la composent. Dans sa jeunesse, il s’avéra donc prolifique en questions tant générales sur les choses de la vie que sur des facettes beaucoup plus personnelles et privées de la vie de chacun. Très tôt, il se découvrit une passion plus aigüe encore pour tout ce qui touchait au vivant et à ses mécanismes.
 
« Questioning – challenging a statement and demanding an explanation »
En amassant des connaissances et en les confrontant entre elles, il apparaît bien vite que le savoir acquis ne repose pas seulement sur les faits mais sur les interprétations de ces faits. Dès lors, toute connaissance peut faire l’objet d’une profonde remise en question pour la dépouiller de ses apparats et n’en récolter que l’essentiel : la donnée.
C’est ainsi que raisonna notre sujet. Dans sa jeunesse, il était assidu, bon élève et  développa cet œil méfiant, ou au moins précautionneux,  sur l’information.  Il fréquenta une école publique où il se distingua rapidement. Visant l’excellence, il l’obtint en travaillant sans relâche. Alors que sa sagacité suscitait pour beaucoup de ses camarades une profonde jalousie, certains appréciait ses qualités et son regard pétillant et gourmand sur le monde. Il lia ainsi quelques amitiés fortes qu’il garda lorsqu’il entra à la faculté de Médecine d’Harvard.
 Jusque-là, il avait accepté sans broncher d’apprendre ce qu’on lui demandait, annotant néanmoins dans ses pensées les connaissances qui lui paraissaient étrangement fondées ou qui méritaient d’être vérifiées. En entrant à l’université et en approfondissant l’étendue de ses connaissances, il se montra plus récalcitrant. Contrairement à ses camarades qui se limitaient à l’anatomie et la biologie nécessaires à la pratique de la médecine, il s’intéressa en détails à chacune des branches des sciences qui touchaient au fonctionnement du corps humain. A ses yeux, l’humain était la plus complexe des machines et il était primordial d’en connaître les rouages pour la réparer.
Et pour connaître ses rouages, il fallait les étudier. Ainsi, alors en troisième année d’études, il commença à développer une autre approche de l’apprentissage des connaissances sur le corps humain. Après la première dissection qu’il fit en cours, il réalisa que voir tous les rouages était ce qui lui permettrait de comprendre l’humain. C’est donc tout juste âgé de 21 ans que pour la première fois, il s’infiltra la nuit tombée dans la salle froide de l’université où quelques John et Jane Doe contemplaient le dos de leurs paupières. Dans ce royaume d’ombre et de silence, il entreprit de tout réapprendre.

« Fall – a sudden drop from an upright position »
Dans un premier temps, cette méthodologie appliquée avec maintes précautions et dans le plus grand secret lui permit d’affiner sa compréhension de l’anatomie.  Alors que la plupart des autres étudiants le regardaient d’un œil soupçonneux, l’une de ses amies d’enfance ne pouvait cacher son admiration. Et lorsqu’elle lui demanda comment il faisait pour comprendre si bien tous ces mécanismes, il brisa le secret. Un soir, il l’amena donc dans son jardin secret. Fascinée, elle ne pouvait cependant cacher une légère désapprobation. Si cette pratique était certes questionnable, les cadavres étaient traités avec le plus grand soin et il utilisait ceux qui avaient déjà servi aux dissections des cours.
Mais, ce n’était pas suffisant. Les morts sont rigides. Les corps sans vie sont des machines cassées.  Il avait besoin de voir les muscles se contracter, le cœur se gorger de sang et l’expulser dans les artères. Pour cela, il savait que se spécialiser en chirurgie lui permettrait d’accéder aux machines en marche et d’en ouvrir le couvercle. A chaque opération à laquelle il participait, il pouvait ainsi observer… Observer… seulement ? Il y avait tant de corps humains qui passaient sur le billard, tant de machines que l’on réparait grossièrement et dont on refermait ensuite les secrets. Et puis, il y avait celles qu’on ne pouvait pas réparer. Il y eut donc cet homme qu’ils venaient de déclarer mort cérébral. Il devait le débrancher. Mais tout ce qu’il entendait, c’était l’écho de son cœur. Il n’y avait certes plus d’activité nerveuse là-haut mais le reste fonctionnait. Et tandis que le martèlement du cœur se faisait plus fort dans sa tête, sa main se referma sur un scalpel. Comme en transe, les yeux fixés sur la cage thoracique ouverte du patient, il n’eut cependant pas le temps de finir son mouvement. Le chirurgien, ayant anticipé ce qui allait se passer, lui saisit le poignet et le fit sortir de la salle d’opérations.
Puis, tout se précipita. D’abord de sérieuses remontrances, un test de drogue, un examen psychologique puis une entrevue avec le doyen. Ils avaient apparemment appris pour ses escapades nocturnes, d’une source anonyme. Il fût qualifié de psychologiquement inapte à la pratique de la médecine. C’est ensuite le regard vide, éteint qu’il entendit comme dans un lointain souvenir, les pleurs de sa mère et la fureur de son père qui déclarait ne plus avoir de fils. Il se retrouva alors pour la deuxième fois en une semaine sur le palier d’un endroit qu’il avait considéré comme un foyer et qui lui fermait à présent ses portes.

« Duplicity – the quality of being twofold »
L’étincelle s’était éteinte. Son esprit restait figé sur les événements qui l’avaient mené là : sa quête était justifiée mais personne n’était en mesure de le comprendre. Il avait fait confiance mais la peur et la jalousie avaient pris le pas sur l’amitié.  Il ne referait pas les mêmes erreurs. Il avait excellé dans ses études. A 25 ans, on ne pouvait remettre en question sa réussite académique et sa carrière semblait toute tracée garantissant un avenir brillant. Ce système rigide l'avait pourtant rejeté. Alors qu'il était allé plus loin que tout autre et qu'il aurait pu faire tellement plus. Mais seule la réussite académique, le respect des normes et conventions importaient. Les prétendus scientifiques et universitaires avaient une vision étriquée du monde et de la médecine. Enterrés dans le siècle précédent, ils ne représentaient qu'un agglomérat de connaissances désuètes et un conservatisme extrême. Il était mieux sans eux.
Les années qui suivirent, il décida donc de rester discret. Il quitta Seattle où l’on connaissait trop bien son histoire, coupa tout contact avec sa famille et ses connaissances de l’université et s’installa à New York où il pourrait facilement se fondre dans la masse. Il ne s’intéressait pas à ce que les gens pensaient de lui, ni ne craignait leur regard. Mais il devait garder son passé secret pour survivre. 
Il vécut dans la rue un certain temps. Incertain pendant un temps sur l'avenir, il erra avec les sans-abris; à la fois effondré de ne plus appartenir à un modèle de société dans lequel il réussissait tant et qui l'avait tant adulé; à la fois jubilant de pouvoir faire un énorme pied de nez à ce même modèle en embrassant tout ce qu'il rejetait. Il se contenta par la suite d’un studio miteux et de petits boulots payés une misère. Personne ne faisait attention à lui. Il ne faisait pas vraiment attention aux gens non plus. Pendant son temps libre, il lisait. Il lisait principalement des manuels de biologie, s’intéressant aux animaux. De temps à autre, il avait même l’occasion de passer à la pratique sur des rats intrépides ou des chats égarés mais il manquait cruellement de matériel et les sujets devenaient vite ennuyeux.
L’étincelle se ralluma lorsque en Février 2021, le monde sombra dans le chaos. Il avait attendu son heure, et celle-ci était arrivée. Il comprit que l’être humain était faible, que l’humanité telle qu’il la connaissait était désuète, que ce que les médias appelaient catastrophe était en réalité une opportunité sans précédents pour redéfinir l’humanité, la rendre plus forte. Il devait reprendre son travail, et aller plus loin, beaucoup plus loin.
Mais avant tout, il devait survivre. Et ce n’était pas avec les casseroles qu’il se traînait qu’il serait accepté dans un de ces bunkers. Il ne pouvait pas rester lui-même. Avant de se diriger vers Twenty-One, il fit donc une halte à l’hôpital de Boston. Dans l’hystérie générale qui régnait suite à l’annonce du virus, il n’eut aucun mal à enfiler une blouse et un masque pour atteindre le bloc opératoire. C’est dans un couloir mal éclairé qu’il entra en collision avec son vieil ami. Celui-ci n’eut pas le temps de réaliser qui il venait de croiser qu’il était déjà parti. Le poing enfoncé dans la poche se resserrait sur le badge qu’il venait de dérober : Dr. Zhen Huan Gu

A ne pas confondre avec un spectre du folklore chinois. Il a en effet un grand corps fin et élancé, une musculature qui révèle surtout les angles de ses os et un teint de peau bien pâle pour un asiatique. Sa démarche oscille entre le glissement fantomatique et le pas déterminé du soldat en plein défilé militaire. Son visage est quant à lui un masque la plupart du temps lisse et sans expression. Seuls ses yeux en amande s’éclairent parfois d’un brun dévorant. Il est autant chirurgical dans son attitude que dans la façon de se vêtir. Quand il ne porte pas la blouse, c’est la sobriété la plus complète qu’il arbore. 

Monstre de sang-froid, il n’est motivé que par la connaissance et la mise en application de ses théories. Il sait à présent que celles-ci sont loin de faire l’unanimité et il se garde bien de donner sa confiance à qui que ce soit. Calculateur, il est plus que jamais déterminé à réussir.

Il éprouve vis-à-vis de l’humanité un mélange de fascination et de dégoût. Il a une vision particulièrement mécanique des êtres humains et occulte souvent l’aspect conscient des êtres vivants en général qu’il voit davantage comme des sujets. Pragmatique, il n’a que peu de considérations pour son propre corps mais souhaite le conserver intact en tant qu’hôte de son esprit. Il est en effet persuadé d’être un génie incompris et que ses pensées sont inestimables.