Son cœur tambourinait dans sa poitrine à mesure que les lourds panneaux de métal qui coupaient le Bunker A du reste du monde se séparaient. Sa gorge était nouée d'un mélange d'excitation et d'appréhension. Depuis combien de temps n'avait-elle pas vu l'extérieur ? Ressenti la chaleur d'un rayon de soleil. Senti l'air frais lui mordre les joues. Le monde extérieur était juste là. Ce monde si dangereux, si pernicieux.

De-Anh était petite. Minuscule dans ce monde dévasté qui avait un jour été le sien. Elle ne reconnaissait rien. Le paysage apocalyptique qui s'offrait à elle la rendait muette, scellait ses lèvres, vrillait ses entrailles. Le poids du malaise pesait bien plus sur ses épaules que son sac rempli à l'en rendre difficilement refermable. Elle avait emporté avec elle tout ce qui lui avait paru nécessaire, et autant dire que la liste était longue. Matériel médical basique, respiratoire, chirurgical, bandages et éponges, solutions antibiotiques, médicaments, … La médecin s'étonnait de pouvoir encore avancer avec tout cela sur le dos.  

Elle contemplait à travers l'écran imperméable de son masque les carcasses désolées des voitures abandonnées, les corps qui pourrissaient lorsqu'ils n'étaient pas d'ores et déjà déchiquetés par les carnassiers et charognards ayant muté. Ses yeux ne se fixaient pas plus de deux secondes sur un point. Elle détaillait, stupéfaite, anxieuse, cet environnement sinistre. Les ruines de la civilisation humaine s'étendaient à perte de vue. Son héritage était là. Son passé était là. Ce qu'elle avait été était là. Juste là. Une carcasse grisâtre dont il serait impossible de tirer quoi que ce soit.

De-Anh resserra sa prise sur la crosse de son arme. Elle tourna ses prunelles sombres à la recherche de Brandi qu'elle n'était pas supposée quitter des yeux.

« Je sais pas vous, mais pour ma part ça me rappelle étrangement un épisode ou deux de Walking Dead. Bon, les cadavres mouvants en moins, cela dit. »

Au fond, l'ancienne chirurgienne aurait largement préféré avoir à affronter des zombies. Au moins aurait-elle évité la ridicule combinaison qu'elle portait et la vie entre quatre murs gris.

SDe-Anh avait toujours été mince. Maigre, même. Elle s'envolait à la moindre brise, comme une feuille morte face à une tornade. Un vent de panique vint souffler dans sa nuque lorsqu'elle aperçut la tempête de sable qui menaçait de s'abattre sur eux dans toute sa colère divine. Elle se sentait faible face aux éléments. Inutile dans ce paysage hostile, dans cette nature qui s'accordait à s'acharner sur les malheureux explorateurs qu'ils faisaient.

La voix de ses coéquipiers résonna avec fracas à ses oreilles. Elle s'élança avec précaution vers le local qui pourrait les mettre en lieu sûr. Rapide mais ralentie, la médecin s'efforçait de percer à travers le nuage de sable qui lui barrait la vue, l'empêcher d'avancer comme elle le souhaitait. Une bourrasque un peu trop violente la déporta sur la gauche. La métisse s'immobilisa aussi sec par peur d'être emportée. Elle se raidit, patienta quelques secondes qu'Eole daigne calmer ses ardeurs, et se remit en route aussi vite qu'elle le pouvait en dépit des éléments.

Un regard vers la droite lui permis d'entrevoir Wayne. Son cœur manqua un battement quand elle vit une portière le frapper de plein fouet, comme le con qu'il était. Sans réfléchir davantage, l'outsider courut vers lui pour lui remonter les bretelles. Les dents serrées, ses doigts cramponnés à son arme de poing par peur de la perdre, elle lâcha un chapelet de jurons alambiqué et bucolique à l'attention de son leadeur. Elle l'attrapa avec poigne et force par le bras pour le forcer à se camper sur ses deux pieds. Si ce n'était pas cette tempête de sable qui lui faisait la peau, elle s'en chargerait avec plaisir.

« Bouge-toi le cul, bordel. »

Elle fonça droit devant elle, s'engouffra dans l'abri de fortune dont la porte tenait difficilement ouverte. De-Anh manqua de s'écrouler lorsque ses chaussures foulèrent le sol hospitalier de la zone de sécurité. Elle entendit un ordre vociféré quant à la porte. Quelques secondes passèrent encore, puis un fracas du diable vint vriller les tympans de l'ancienne chirurgienne. La carcasse d'une voiture malmenée par les vents s'abattit contre la porte de l'abri, la refermant sur ses habitants, manquant au passage de couper net quelques phalanges.

De-Anh rejeta aussitôt la capuche de sa combinaison, se sépara de la partie supérieure de son masque qui commençait sérieusement à l'agacer à force de tronquer son champ de vision. Elle fit une rapide inspection de l'état général des outsiders avant d'attraper Wayne par son sac à dos pour le tirer en arrière et constater l'étendue des dégâts. Elle le força à s'asseoir, retira son masque, saisit sa lampe de poche pour lui braquer dans le visage afin de vérifier ses réflexes oculaires.

« T'es vraiment qu'un con, maugréa-t-elle pour elle-même. Bouge pas ou je te pète une jambe, lui intima-t-elle en pointant son nez de l'index. »

La métisse se retourna vers ses camarades d'infortune. Elle compta silencieusement pour s'assurer qu'aucun d'eux n'avait eu l'indécence de se perdre en cours de route.

« Checkez vos tenues. Je veux savoir si vous avez un quelconque trou, si vous avez bouffé de l'air extérieur, ou si vous vous êtes mangé un objet contondant qui aurait pu vous blesser. »

Elle s'approcha de l'un des outsiders pour vérifier qu'il allait bien.